Salé, le 28 Juillet 2007 à 18h 30 de relevée.
A fond de train avec Elle
Dans le wagon au départ de Rabat, il y avait un homme agé à qui j’adressais le bonjour et qu’il dédaigna de répondre ! A vielle mule, frein doré, pensais-je ! Sans dire mot, je me plongeais dans un roman d’histoire de l’Afrique" la légende du poisson". Elle raconte que les Gabibis voyaient à certaine époque un poisson monstrueux sortir des eaux. Les Gabibis se prosternaient, écoutaient, craintifs, les ordres du poisson, puis, contraints, subissaient ses caprices. Sans aucun doute, ce poisson symbolisait les Sorko pillards, qui sortaient de leurs pirogues après les récoltes pour dévaliser les greniers des Gabibis.
Un jour, continue la légende, arrivèrent à Koudia deux étrangers de race blanche venus du Yémen, surnommés en alternant une réponse Dia Aliamen(ja men al yemen) Ces deux frères se mêlaient aux habitants. Arriva bientôt la cérémonie du poisson. L’aîné, indigné de la servitude que subissaient les gens de Koudia, réussit à tuer le poisson. Ils le proclamèrent Roi sous le nom de Dia Aliamen.
Je venais de terminer cette légende, quand le train s’arrêtait à la nouvelle gare. Une belle femme, la quarantaine, souriante en tailleur habillé, une rouflaquette zeste d’espoir sur le visage, sans chamarrure, venait prendre place devant, à coté de l’acariâtre. Le parfum qu’elle portait m’embaumait.
Je la contemplais furtivement et discrètement derrière mes lunettes de soleil. Sentant mon regard, elle devenait rougeaude. Elle paraissait l’âme douce et veloutée en regardant la cambrousse verte au passage du train. Deux vers de Rivoire me revinrent à l’esprit :
Pensive, maintenant, je te retrouve, toi !...
Je retrouve tes yeux à nous, tes yeux à moi !...
De nouveau le train s’arrêta, et le misanthrope quittait la voiture. Bon débarras ! Pensais-je à haute voix.
Elle se tournait me disant :
- Il me semble que j’eusse ouï une brimade. Pourquoi, Monsieur, cette réflexion ? Y avait-il une avanie ou algarade ?
- Non mademoiselle ! Naguère en arrivant, je l’ai salué, ne m’a répondu au salut!
- Mais ce n’est pas grave. Et s’il est un malentendant ?
- J’ignorais cette supposition, répondais-je, pris au dépourvu.
Reconnaissant ma tartufferie, je prenais de ma serviette, un roudoudou de la boite de caramel, ersatz, que je t’utilisais pour éviter de fumer dans le train. Elle l’acceptait avec joie en me remerciant.
- Sans indiscrétion, lui disais-je, en signe d’approche, que faites-vous dans ce bas monde ?
- Je suis enseignante dans un collège. Et vous ?
- Charmé de la sentinelle de la culture. Je le suis aussi, vous enseignez quelle matière ?
- J’enseigne le dessin.
- Ravi, je professe les maths. Heureusement qu’il n’y est un autre enseignant qui dirait : Professeur mater des seins ! Je disais cela en puisant du bêtisier et traversant le rubicon.
- Charmeur, joueur au jeu de mots ! Enchanté de faire votre connaissance .Je réponds quand on appelle, Citadelle.
- Enchanté forteresse ! Complet bleu quand on m’interpelle !
- Ravie. Etes-vous marié ?
- Oui et trois fois père. L’êtes vous aussi ? Ou Fiancée ?
Citadelle: C'est un secret que vous ne saurez pour le moment.
Completbleu: Nuance ! Est ce de Nadem Ghazali ou hadak li dima sahar (le couche tard) ? Elle affichait un large sourire.
Complet bleu: Ah bon!S'il est dans l’océan, en bon plongeur je le retrouverais. S’il est dans le débarras, recyclé neuf, il sera remis à qui de droit. S’il est perdu, comme l’étoile remet le bétail à l'étable et l'enfant à sa mère, elle guidera ce beau sourire à la Gentilhommière !
Le train parvenait à la ville, Citadelle s’apprêtait à descendre, me demandait mes coordonnées. Je lui communiquais mes deux numéros de contact.
Citadelle : Je vois que vous avez là, deux portables.
Completbleu : Oui, comme faisait Beaumarchais de son vivant. Pour écrire de beaux écrits aux dames, il utilisait la plume d’oie, et pour correspondre avec les hommes, il usait la plume de corbeau. Ainsi, ce premier numéro est pour les favorites mies , et l’autre pour les aucuns !
Citadelle : Usez-en le premier pour me contacter. Vous déshabillez Pierre pour habiller Paul. Vous m’êtes drôle et sympathique. Je suis ravie d’avoir passé un si beau moment en votre compagnie durant ce trajet.
Bientôt l’arrivée, elle me quittait toute contente et radieuse, me promettant de me contacter et me souhaitant une bonne continuation du voyage.