Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras :
L’un est sûr, l’autre ne l’est pas. La Fontaine
Milouda est une mégère et acariâtre femme. Elle effarouchait toutes ses voisines de la rue du Paradis où elle vint d’y résider, il y a juste neuf mois. Elles ne pouvaient la souffrir. Les enfants la détestaient et évitaient de fréquenter sa progéniture. Ils la craignaient .Ils redoutaient ses réactions parfois odieuses. La commère observait jour et nuit les allées et venues de ses voisins. Rien ne lui échappait. Elle trouvait du plaisir à rester clouée devant la fenêtre, pour épier les passants. Maintes fois, elle augmentait le volume de sa chaine. Elle élevait le son à quarante décibels. Continuellement, notamment le matin, sa chanson préférée était « Dour biha achibani » (Entretient la, Ô vieillard !). Les vieux et hommes mariés sur le tard boudaient le vacarme, la chanson et le thème.
A l’approche de la date fatidique du 10 Dulhijja, jour de la fête du sacrifice, elle était à la fenêtre .Elle vit entrer à la maison contiguë M’barek, homme de couleur respecté par ses prochains. Il portait un agnelet sur ses épaules. Ses petits enfants le harcelaient depuis trois jours. Ils lui demandaient chaque fois, quand apporteras-tu le mouton papa ? Au moment de franchir le seuil de sa maison, elle eut l’idée de le taquiner à haute voix.
- Mbarek al hawli ! lui lançât-elle.
« Mes vœux pour l’achat du mouton ». Par euphémisme en dialecte marocain « M ‘barek le mouton ». Instinctivement, M‘barek rétorqua :
- Milouda, la salope !
Cette réplique toucha en plein fouet Milouda. Elle afficha un jaune sourire avec méchanceté. Malgré cette boutade, elle ne devint rubiconde, mais rougeaude de colère.
Le matin, Abqader, le conjoint de Milouda, lui a fait savoir que son patron a octroyé une aide substantielle aux employés de la société, pour l’acquisition du mouton. Il ira ce matin, au souk du mouton du quartier Sidi Moussa. Ce marché est moins fréquenté par les intermédiaires et les chennaqa (spéculateurs), lui dit-elle.
Ainsi, dans sa position quotidienne naturelle, elle attendait le retour de son mari avec son emplette. Le temps languissait. Elle espérait et rêver qu’il lui apportât un bélier, que toutes ses voisines envieront. Cette scène est habituelle chez les parvenant. Choufouni « m’as-tu vu » est chose courante pour jalouser les jouxtant. En effet Abqader après avoir demandé une autorisation spéciale, a regagné sur sa Mobylette le souk.
C’était 11h du matin. Il laissa sa motocyclette chez le gardien et entra dans le souk .Ce dernier est plein à craquer. Des hangars, rangés et bâchés ont été installés. Il y avait des vendeurs d’ovins, des gargotiers, des fouaciers qui vendaient du pain complet, de tourte et orge. Des enfants et jeunes adultes assaillaient les passants on offrant des cordes à deux dirhams. D’aucuns vendaient des verres de Café préparé dans des bouilloires attachés à un barbecue marocain. Le café embaumé par l’odeur de la poussière, laissait dégager un lourd parfum. Aussi les verres de thé étaient servis avec des beignets du marchand mitoyen. Les voitures, triporteurs faisaient un strident bruit. Un tintamarre qui agresse mêmement l’ouïe. L’agglomérat des ces parfums ressemblait à l’odeur d’un port asiatique. Le soleil luit, était africain. Un soleil d’eau qui, comme l’espèrent ces éleveurs d’ovins, va bientôt pleuvoir à verse. Leur richesse, c’est la pluie. Les gens en bousculade se frayaient le passage avec gêne. Un gué propice pour les voleurs à la tire et les pickpockets. Agile, Abqader regardait ces images défiant le tout. Mais il était pressé d’acheter le mouton et veillait sur son bien en poche. En scrutant les allées, il a fumé presque trois cigarettes sans compter une demandée par un visiteur, qu’il lui donna avec le sourire.
Enfin, il arriva au dernier hangar. Des moutons de race sardi de Timahdite y sont exposés. Il entre parmi le troupeau. Il Tâta avec le pan de sa main le dos d’un sardi, pour voir s’il est engraissé. Il ouvrit le museau pour ausculter la dentition, il vit qu'il a deux ans (thney, le plus de trois ans est banni). Il constata que ses deux lobes de l'oreille sont arrondis. Il pressa la queue. Abqader est devenu vétérinaire occasionnel et fqih .Le mouton est halal est apte à être sacrifié, se dit-il au fond de lui même. Il prit des deux mains l’ovin par le ventre, le hissa légèrement et le laissant tomber comme un chat sur ses quatre pieds. Presque vingt kilo, constata-t-il. Il demanda le prix à l’éleveur qui tenait à la main n tribard, sorte bâton pastoral en bois de cornier ,qu’il maniait comme un maréchal.
- Mille huit cent dirhams, dit-il.
- Ton dernier prix ? demanda Abqader.
- C’est le prix fixe. J’ai investi dans ce troupeau ces derniers jours. Le prix de l’orge, du fourrage, le transport de l’oriental ont augmentés. Je n’utilise pas de chmandar (pulpe de betterave) pour les alimenter.
- Je le prends à Mille cinq cent, ca te va? dit-il l'air dandin
- Non. Mes prix sont étudiés et attractifs !
- Oui un prix fou ! En ce montant, je pense que tu n’as pas l’intention de les vendre. Ne crois pas que nous trouvons l’argent, jeté dans la rue.
- Monsieur, je n’ai pas besoin de ces remarques. S’ils ne sont pas vendus, je les retourne chez moi. Les chevillards feront l’affaire après l’Aid. C’est à la tête des clients. Vous les citadins, vous êtes près de vos sous.Vous n'êtes chiches pour les achats inutiles. Si c’était un bijou capricieux pour un gorgerin, vous déboursez sans mot dire. Au fait les urbains subissent l’ascendance de leur femme.
Ce cours magistral d’un campagnard dérouta Abqader. En son for intérieur, il lui donnait raison. Mais il ne pouvait faire réplique songeait-il. C’est au dessus de sa bourse.
- Eh ben! garde les et garde ton commentaire aussi, rétorqua-t-il et quitta le hangar.
Il rebroussa chemin en empruntant l’allée du milieu. Son attention est attirée par des badauds attroupés autour d’un vendeur. Il s’y approcha et constata que c’était des moutons de race beldi. Il se faufila parmi eux et choisit un ovidé. Il l’ausculta comme le précédent et demanda le prix.
- Mille cinq cent dirhams, répond l’éleveur.
- J’offre mille trois cent et je suis large, dit Abqader en hésitant de timidité.
- Tu as l’air d’un gars béni et de bonne souche. Je te déduis 100 Dh. Et c’est une bonne affaire.
- Merci pour ta générosité. Soit encore souple. Feu mon père m’a conseillé de marchander.
- Allez prends le, lui dit-il avec un large sourire. Il se demanda s’il était dupe. Il tira son porte feuille de la poche intérieure de sa veste, après l’avoir déboutonnée. Il lui compta son dû rubis sur ongle. Le vendeur content, tapa dans la main de l’acheteur le congratulant, tels deux tennismans après le dernier set en lui disant :
- Mbarek al hawli
Abqader le remercia. Il appela un garçon vendeur des ficelles. Il paya la cordelette qu’il noua sur les cornes et héla un homme au triporteur. Il marchanda le transport. Ils se mettent d’accord sur le prix, monta à coté du conducteur le priant de passer chez le gardien de bicyclettes pour prendre sa moto.
Le trajet ne fut pas long. Abqader dirigeait le triporteur. Ils regagnèrent, rue du paradis. Ils s’arrêtèrent devant le domicile, firent descendre le mouton. Au moment où Abqader payait le convoyeur, une camionnette se gara. Samira, l’ennemie jurée de Milouda, emmener à son tour son sacrifice. Les deux moutons pieds à terre. Celui de Samira est un pure sardi, principale race ovine marocaine. De grande taille la tête dégarnie, de couleur blanche comme la neige avec des tâches noires autour des yeux, du museau et des oreilles. Samira l’avait acheté il y a quatre mois et l’a laissé chez ses parents à bouzniqa. Elle avait financé l’achat de l’alimentation. Milouda ignorait cet investissement ! Samira en regardant l’autre mouton, a souri l’air moqueur par folâtrerie. Elle fit semblant de ne voir sa rivale, vautrée au soupirail. Elle voulait lancer un youyou de bonheur afin d’enquiquiner la mégère. Elle s’obstina de le faire par respect à Abqader pour ne point le blesser.
Milouda était en ce moment à la fenêtre. Elle vit l’énorme différence entre les deux béliers. Une colère bleue la gagna. Ses rêveries s’estampèrent. Elle sera la risée de la rue du paradis durant toute l’année et subira la moquerie de son entourage. Elle en voulait à son mari. Elle quitta nerveusement son observation statique. Elle voulait pleurer ce jour de colère. Elle refusa d’aller à la rencontre des arrivés.
Abqader, sentit le drame en entrant à la maison. Il attacha le nouveau venu à un pilier, alla se laver les mains et changer ses habits parfumés à l’odeur forte du bétail. En terminant sa toilette, il se demanda où est sa femme.
- Femme où es-tu ? dit il, l’air interrogatif.
Un silence écrasant succède au silence de son épouse. Il alla la chercher dans la cuisine, dans le salon, Elle n’y était pas. Il l’a trouva allongée au lit dans la chambre des enfants.
- Où est le problème ? L’apostropha-t-il. Les béliers sont onéreux cette année, continua-t-il. Ma bourse est plate, elle n’est nullement ronde. Contentons nous de cet acquis, Dieu est grand ! Ce n’est pas notre dernière fête me semble-t-il !
- Non à Sidi, répliqua-t-elle, l’air orageux. Il fallait opter pour un grand sardi comme font les Hommes. Débrouilles toi ! Si tu n’as pas de liquidité, les sociétés de crédit à la consommation offrent des promotions à l'occasion de l’Aïd Al-Adha. De différentes formules de crédit «gratuit» de 3 000 dirhams, sont proposées pour des échéances de remboursement pouvant aller de 6 à 10 mois.
- Sidi Ouasidek Rassoulou Allah. Oui, j’ai entendu cette publicité mensongère. Rein que le dossier coûte plus que l’intérêt habituel pour une année.
- Je ne veux pas de ce « chat » dit-elle! Tu aurais dû acheter un bouc, moins nocif pour le cholestérol et le sucre que tu m’as fait monter en achetant ce minet.
- Nous n’allons pas nous chamailler ces jours de fête. Je n’y peux rien. Je regagne mon travail, dit-il en sortant.
Milouda est restée exaspérée, clouée, elle cessait de vivre. Elle songeât, pensa un moment et prit son portable. Elle appela son amie.
- Bien le bonjour Fatima, as-tu acheté l’Aid ou pas encore ? demanda –telle.
- Le bonjour te va Milouda. Non pas encore, réfuta Fatima! Le « crétin » m’a laissé l’argent et m’a chargé d’aller l’acheter. As-tu vu une femme le faire ?
- Mon bougre a acheté un à mille trois cent dirhams, que je ne veux pas, objecta-telle. Il ne suffira pas pour nous. Nous sommes nombreux. Je pense acheter un sardi et vu que vous n’êtes que deux, je pense qu’il fera ton affaire. Tu m’es chère, je te le laisse à mille dirhams.
- Soit ! J’arrive dans 15 mn le prendre. Je serais gagnante avec mon homme, pensait Fatima.
Fatima enfila sa chic djellaba serrée. Passa devant le miroir. Démêla légèrement ses cheveux frisés, s’aspergeât du parfum Anaïs Anaïs de Cacharel, prit son sac à main et quitta l’appartement. Dix minutes après, elle sonnait à la porte rue du paradis. Les deux commères exécutèrent leur marché. Assurée d’avoir fait une belle acquisition, elle quitta le lieu, heureuse et contente. Elle demandera à son « crétin » de débourser trois cent dirhams de plus, somme allouée pour l’achat du sacrifice.
Milouda, débarrassée de ce « chat », retourna dans la chambre des enfants. Elle chercha un oreiller sur le lit de son benjamin. Elle quêtait sa tire lire, où elle thésaurisait des sommes à l’insu de son époux. De l’argent piqué lors des achats, chargés par son mari. Une voleuse telle une pie. Elle prit l’argent enfoui, et passa à la chambre à coucher où elle s’empara d’un bracelet en or massif qui embellissait mignonnement son poignet.Elle le dissimulait dans un coffret à bijou, dans le tiroir de l’armoire.
Elle s’habilla modestement et quitta demeure, en direction de la bijouterie du quartier. La joaillerie est sise rue Adam dans une cité populaire. Les habitants vaquaient à leurs travaux. des lourdaux et malotus, sans travail devisaient et palabrer des élections parlementaire devant les épiceries et le salon "Coiffeur de Séville". En ce moment la ruelle est presque déserte. L’état psychique de Milouda, l’empêcha de voir l’environnement. Son seul souci était d’entasser une somme pour aller au souk, s’offrir un beau et grand sardi.
Elle savait que le prix de l’once a augmenté ces derniers jours. Après le salamalec de politesse, elle présenta sa vente au bijoutier. Ce dernier le prit, le mit sur une poche de bijou. Apres l’avoir pesée, prit sa calculette, fit un calcul et lui dit.
- Deux mille dirhams pour cette pièce madame, dit-il, avec un ton serein.
- C’est peu ! Moi, l’an dernier, je l’ai acquis à quatre mille dirhams cash, avança-t- elle. D’autant plus que le prix de l’or, ces temps derniers a augmenté en flèche avec la récession et la crise de l’Euro.
- Qui dit récession, dit inflation madame. Je vais vous dire une chose, nous ne faisons pas un cours d’économie. C’est à prendre ou à laisser.
Le bijoutier flaira que cette dame ahurie était dans le besoin. Sa façon d’argumenter la vente prouve quelle est nécessiteuse de fonds et savait que la cause est sans doute le mouton. Milouda, prise au dépourvu ne savait à quel saint se vouer. Elle n’a pas peur de son mari, mais voulait « crever l’œil » de ses voisines. Qu’importe le prix !
Pour ne pas perdre le temps, elle acquiesça au montant offert. L’orfèvre lui demanda sa carte d’identité pour éviter le recèle. Juste après avoir reçu son argent, elle quitta précipitamment la bijouterie. Elle longea rue Adam, et pour héler un taxi, elle dût traverser la rue « le chat qui pêche ». Consciente elle emprunta le passage clouté. Le feu était au rouge pour les véhicules, au vert pour les piétons. Elle se décidait à franchir le passage et au moment où elle ne s’attendait pas, une vespa vint à grande vitesse. Le conducteur tenait le guidonnage. Son compagnon assis derrière sur selle passager, au passage tendit sa main, tint le sac à main de Milouda et tira de toutes ses forces aidé par l’effet de la vitesse. Il put happer au vol son sac. Elle poussa un grand cri de détresse. Au voleur ! Au secours !clamait-elle. Les lascars prirent la poudre d’escampette, laissant derrière eux une victime affolée, terrorisée, apeurée et traumatisée.
Elle a perdu tout son gain, ses papiers et documents. Elle allait perdre connaissance, mais sa dignité l’empêcha de le faire. Elle se ressaisit. C’est la faute de mon béguin, s’il avait acheté un sardi, rien ne m’arrivait, grommela- t-elle à voix basse. Heureusement que le portable qu’elle tenait de la main droite est sauvé. D’habitude, elle mettait dans le sac. Elle appela son mari le priant de la rejoindre le plus tôt possible en lui indiquant l’adresse. Elle n’a plus le sous.
Tracassé par cet appel, Abqader informa son maitre des travaux manuels de l appel en urgence de sa femme. Le chef des travaux lui accorda l’autorisation de disposer. Contraint et pressé, il prit sa motobécane et démarra en prestesse. Angoissé et troublé il ne pensait qu’à rejoindre sa Milouda. En voulant prendre une ruelle perpendiculaire, il ne vit une voiture arriver. La voiture le percuta en plein fouet. Plus de peur que de mal, il est sorti indemne avec des estafilades. Le conducteur eut pitié de la victime. L’état physique et son allure font pitiés. Ses habits usagés délabrés. L’éducation sociale et civique du chauffeur lui édicta de prendre en charge l’hospitalisation de Abqader dans la meilleur clinique de la ville. En sus, il lui accorda un subside non négligeable pour fêter l’Aid.
Abqader, loua ce bienfaiteur et remercia le Ciel et jura en son for intérieur de ne dire mot à son épouse !
Salé, le 08 Novembre 2011(11 Dulhijja 1432)