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Et compagnie (20 ème Episode)

 

   Le chant terminé, le serveur nous amena la commande. Elle opta pour un thé sans sucre, bien qu’elle ait l’air sucré et moi une tasse de café serré, bien que mon cœur fût serré.

- Tu rossignoles merveilleusement cette chanson, dis-je pour la complimenter. Je note que tu as embellie maintenant. Tu soignes ta ligne.

-  Merci. Tu me flattes, dit-elle le nez outrecuidant?

   En mon for intérieur, je me disais, la femme qui se voit gazelle, trouve forcement en face d'elle l'homme lion. 

- Du tout Nejma! Je ne te chante pas la romance pour te plaire, ni pour te raccrocher. Sache que feu mon père et feue ma mère ont peiné pour moi. Ils ont veillé à mon éducation. J’ai grandi dans la droiture. Je ne vais pas me jeter dans les bras de la première gourde venue. 

- Oui, mais je pense que par ce compliment, tu veux me séduire comme tu le fais avec les autres femmes.

- Non et non ! Dis-je l’air agacé. Tu es seulement une amie que je respecte. Je suis honoré que tu me considères comme « un homme alpha ».

- Homme alpha ou mâle alpha, ou homme shampoing ! tes approches sont les mêmes.

-  Nejma, je t’ai appelé pour nous réconcilier. Je vois que tu places  la barre trop haut. Saches que je n’ai point l’intention de te séduire. Tu es plus jeune que moi. Te rappelles-tu lors de notre weekend à Marrakech, quand je t’ai dit, je serai fidèle à tes cotés jusqu'à ton mariage et qu’à ces paroles tes yeux se mouillèrent? Te rappelles-tu quand je t’ai dit que l’écart d’âge entre nous deux est un handicap et que je te conseille une union avec un gars de ton âge ? Tu me répondis « l’amour n’a pas d’âge».

-  Oui, mais ta façon de me redire mes propos instillent le doute dans mon esprit.  Je tenais beaucoup à notre amitié puisque pour un certain temps tu fus mon unique confident. Mais depuis lors, j’ai changé mes priorités. Je suis immunisée maintenant.

- Immunisée ou vaccinée c’est ton droit, objectai-je, enflant la voix. Etre ton confident ou un personnage secondaire ne me dit rien et je n’aspire à rien avec toi. Tu me rabroues là.

- Arrêtons-nous là s’il te plait Abdou, dit-elle rubiconde, terminons cet entretien. Il est temps que je regagne chez moi. Merci pour le thé.

- De rien, répondis-je d’un ton sec. D’ailleurs moi aussi, j’ai des affaires à régler.

   Je l’accompagnai au quai de la gare. Sans attendre l’arrivée du train, je la saluai froidement et je quittai la place en lui disant à un de ces jours, lui souhaitant bonne chance. Et de deux, pensai-je. Je rejoignis ma voiture et prit la direction de mon domicile.

   La nuit, je dressai la situation de la journée. Rahima cherche un homme lige et Nejma l’immunisée cherche un confident. Pour chasser ces mauvaises pensées, je me repliai sur ma bibliothèque, pour choisir une œuvre à lire. Je me régalai en lisant le roman « Les carnets secrets d’une insoumise de George Sand». 

    Les jours suivants, apaisé, je ne pensai à aucune fille. Un après-midi, quittant le bureau, vadrouillard, je marchai au gré du hasard dans le quartier Qamra non loin de la gare routière. Je cherchai chez un tapissier deux fauteuils « bergère à oreilles » pour mon salon.  Une rencontre fortuite me croisa avec mon ami, celui qui me conseilla de voir Naima la voyante. Il était accompagné d’une fille.

- Bonjour Abdou, me lança-t-il. Comment vas-tu depuis notre dernière entrevue ?

- Bonjour Jalil, bonjour madame, dis-je les saluant, évitant de répondre à sa question.

- Elle est demoiselle, dit-il avec un sourire. Je te présente ma sœur Salima.

- Enchanté ! Répliquai-je l’air gêné. J’ignorai que tu eusses une sœur.

- Salima est ma cadette, dit-il. Elle enseigne le français dans un collège à Bouiblane. Elle vient juste d’arriver, le car a prit du retard.

- Honoré de faire la connaissance de la vigile de la culture.

   Je cultivai le beau et serein sourire du professeur. Pour ne pas les déranger, je demandais la permission de disposer.

- Abdou, Salima est fatiguée à cause du long trajet. Elle et moi allons prendre un rafraîchissement. Veux-tu te joindre à nous ?

- Avec plaisir, dis-je confiant. A condition que ce soit moi, qui règle la note.

   Cette proposition agréa Jalal et sa sœur. Pourquoi pas, dis-je au fond de moi-même. Mon ami Jalil est au courant de mes tribulations. Dans ses regards, je devinais l’invitation au mariage. On ne sait jamais qui on épouse ; le mariage nous l'apprendra, disait Jacques Chardonne. Nous nous dirigeâmes vers un salon de thé et nous attablâmes dans un décor joyeux, raffiné et convivial. Salima prit place la première. Sa manière assise dénote son élégance et son charisme. Jalil et moi priment la nôtre. Le serveur tarda à venir et je pris la décision d’aller le prier de se presser pour prendre notre commande. Je devinai que Jalal allait aborder ma situation sociale avec sa sœur. Je feignis, en temporisant l’appel du serveur occupé auprès d’autres clients, afin de laisser libre latitude à mon ami pour me présenter.

   Je revins à la table et repris place. Jalal s’interrompit. Je remarquai  une propreté rougeaude sur le visage de Salima. Le serveur nous remit une carte-menu engravée. Salima opta pour une bille de kumquat à la pistache, Jalil pour un pudding chômeur et moi pour un délire de chabichou. Pour accompagner ces délices, nous demandâmes trois tasses de café crème tiré. 

   Le temps d’être servi dura un moment. Je glissai vers la sœur des coups d’œil furtifs, mais dès qu’elle s’en apercevait, je détournai le regard. Il suffisait de la voir pour l’estimer. Ce fut l’occasion d’entretenir une discussion. J’hésitai à aborder un sujet, par crainte de tourner à la dérision devant Salima. Ce n’est point que je ne fus sûr de moi, mais je suis un cheval timide comme l’eut dit la voyante.

-  Abdou, comment vas-tu avec ton projet, me lança Jalil?

-  Lequel ? Dis-je avec appréhension. Est-ce celui dont je t’ai parlé la dernière fois? J’ai renoncé à cette affaire. Mon surmoi le préconise.

- Content, je suis vraiment heureux pour toi.

   Je cherchai à insinuer à mon ami, que j’ai suivi son conseil. Salima suivait avec attention la discussion. Elle n’a dit mot depuis notre rencontre. Elle garda le silence un long moment avant de parler enfin. 

- Jalil m’a laissé entendre que tu es un de ses grands et fidèles amis. Je suis heureuse de faire ta connaissance.

   Ces mots me rassurèrent peu ou prou. J’en fus ému. Je devais répondre avec sincérité. Son tutoiement me sécurisa. 

- Salima, sans tarabiscoter, je suis honoré. Je nageai dans un bonheur plat, je ne sais ce que le destin me réserve. Mais cette rencontre semblait de bon augure.

Et m’adressant à Jalal, je dis :

-   Mon ami, tu es un cachottier. Tu fus un faux-frère, je veux que tu sois mon beau-frère, si Salima y consent.

     Elle devint toute cramoisie dans son sourire lumineux.

-  Je ne vois aucune objection, me dit-il. C’est elle qui doit accepter ou non. Mais avant tout, vous devez vous connaitre à fond pour l’union sacrée. Je serais ton défenseur auprès de mes parents, car nous nous connaissons depuis longtemps et je n’ai jamais ouï de mal à ton sujet.

- Merci Jalil, le talent appelle le talent. J’aurai l’honneur d’être gendre de ton honorable famille. Qu’en dis-tu Salima ? Je voudrai t’offrir mon nom.

    Elle se tut, mais afficha un large sourire. Elle était sans doute gênée par la subite rencontre et la soudaineté de ma proposition de mariage.

- Je suis émue, dit-elle. Beaucoup de prétendants se sont présentés, mais je n’en ai trouvé aucun à mon goût. Il y a un moment mon frère m’a parlé de toi et généralement je suis ses conseils.

    Le serveur nous servit la commande, et je patientai pour que mes commensaux entament les sucreries. Je scrutai Salima à table. Elle mâcha la bouche presque fermée et évita que la cuillerée ne pénètre entièrement dans sa fine bouche. Elle se tenait droite et ne se tortillait guère sur sa chaise.

 

 

 

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