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  • Mécontemporain Episode 11

    Momentanément désamorcé, je repris mon ami le livre et m’y plongeai dans la lecture de « La terre » d’Emile Zola, pour ne point rabougrir mes instincts, et aussi pour dissiper mes rêves et ma cécité morale. Une œuvre captivante et entraînante, pour induire en errance mon imagination. Une heure de lecture assidue. A jour failli, j’allai me lever, quand une vieille connaissance me rejoignit à table.
    - Ah te voilà !me lança-t-il.
    - Et me voilà. Quel bon vent t’amène !
    - Ce matin je sentis des démangeaisons de ma lèvre supérieure, me lança-t-il. Je doutais que j’allais rencontrer une très proche personne. Je n’ai nullement songé à toi ! (Chez nous, le picotement de la lèvre est signe d’une rencontre avec un absent distant)
    - Dire que moi aussi, toute la matinée, je sentais des chatouillements sur la paume de ma main gauche. Et je me demandais quel gain, vais-je toucher ? Rétorquai-je. Je grinçai les dents.

    Mon vieil ami sait que j’eus toujours mon portefeuille continuellement garni. Dans l’embarras d’argent mignon il y a six mois, il vint m’emprunter un montant pour l’achat des caprices et des fantaisies. Depuis lors, je ne le revis guère. Il vendit la ruelle et l’avenue comme disent nos épiciers. Mais j’évitai de le contacter pour demander mon du et la remise de la dette.

    Durant un laps de temps, je feignis dire un mot pour ne point ni l’offenser, ni le froisser. Mais je me demandai la raison de son arrivée à ma rencontre. Est-ce le hasard ? C’était la fin du mois, et je fus sure et certain qu’il n’ait le rond. Je me demandai si je serai encore une fois sa victime, un macchabée.

    Je fis signe au garçon du café pour lui servir une boisson.
    - Bonjour Addi, dit-il au garçon. Je veux bien prendre un cocktail Isla Mona, si votre établissement a du lait frais de noix de coco, dit -il.
    - Désolé monsieur Brahim, nous n’avons pas ce lait, répondit le serveur.
    - Soit ! Un jus de pomme si vous le permettez.
    - Un jus de poire pour moi aussi, dis-je. (Je ne serai une poire ce soir).
    Le serveur nous quitta et je dis plaisantant à mon invité.
    - Tu es connu dans cet endroit. Dis moi, où as-tu vu encore ce cocktail Isla Mona ? Est-ce dans un roman d’Agatha Christie ?
    - De prime abord, je suis client de ce café. J’habite deux ruelles à gauche. J’ai déjà consommé cette délicieuse boisson dans le café Agatha juste à coté. Nous irons le déguster la prochaine fois, si tu le souhaites.
    - Incha allah (Si Dieu le veut).
    - As-tu lu « Dix petits nègres » D’Agatha ?
    - Oui, mais il me semble si j’ai bonne mémoire, l’assassin qui a décidé d’éliminer ses dix petits camarades un par un, en suivant les vers d'une comptine pour enfant. Il s’agit aussi de Mona lisa.
    - Le patron, fervent lecteur des séries noires, eut l’idée de concevoir ce délicieux jus. Il a même offert un collier Agatha grain de café à sa seconde femme.
    - Au fait, comment vont madame et les enfants ? Dis-je pour détourner la conversation.
    - Couci-couça. La semaine dernière l’aînée a attrapé les oreillons, et cette semaine, son cadet eut une entorse de cheville lors d’un match de football des jeux scolaires. Et madame depuis quelques mois souffre de la goutte.
    - Que Dieu parfait et hâte leurs guérisons. Il te faut un grand courage pour affronter ces incommodités.
    - Amen ! Merci mon ami Abdou, Ce n’est pas que cela, ma sœur cadette a demandé le divorce pour discorde (chiqaq), son époux gaspille son gain dans les jeux du hasard. La nouvelle moudawana permet à la femme de divorcer presque sans conditions. Un malheur ne vient jamais seul. Mes parents doivent chercher un autre logement. Pour agrandir une ruelle, les autorités vont démolir toutes les maisons avoisinantes dans la cité.
    Je me taisais, n’osant rien ajouter. Je savais que mon débiteur mystifiait et inventait pour cacher ses maux de dettes. Il excellait dans les menteries. Je feignis rire en pensant à un rébarbatif qui disait chaque jour, Que Dieu me fraie une voie (Allah ijib chi triq). Son vœu s’exauça lorsque les services de la municipalité vinrent l’informer, un matin,que sa maison doit être démolie. Le plan d’aménagement du quartier, prévoyait agrandissement de la rue.

    - Abdou, tu es mon seul bienfaiteur, ajouta-t-il. Je te dois combien au juste ?
    - Voyons tu ne me dois rien, dis-je, en tirant une grande bouffée de ma cibiche. Je devinai son carambouillage. (Le corbeau, honteux et confus,
    Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. La Fontaine)

    - Dis moi, Abdou. Un ami, ressortissant à l’étranger, a amené un ordinateur portable Dell D610 presque neuf. Il veut le vendre. Vu son bas prix, j’ai pensé à toi. C’est une occasion qu’il ne faut pas rater.

    - Ah ! Je veux bien, mais tu viens en retard. Il y a cinq jours, j’ai acquis un LG papillon. C’est bien dommage, rétorquais-je.

    Je méditai une neuvaine de prières pour que les saints m’épargnent de ses filouteries. Mais mon instinct me disait que j’ai besoin de ses services dans ce quartier. Qui sait ?

    - Oui, c’est beau dommage. Aujourd’hui est un jour sans, je n’ai pas de chance, murmura-t-il. Je dois rejoindre mes élèves, je donne des cours du soir de rattrapage, dans une école privée. Au revoir Si Abdou !

    S’adressant au serveur et faisant semblant de chercher l’argent.
    - Je te dois combien Addi ?
    - Laisse, Brahim, C’est moi qui règle la consommation. Vas et bon courage. Demain si tu as le temps, je serai à la même place aux environs de 16h.
    - Soit, je viendrai incha Allah. Comme aujourd’hui, je passerai avant d’aller au cours.
    - D’accord répondis-je.