Force est de constater que les garçons du village, furent jaloux de notre train-train de vie. Nous n’avions point de loisirs dans le village, hormis une salle de jeu de billard. Mon père et notre frère aîné nous défendaient de fréquenter ce lieu de délinquance. La quiétude du bourg fut régulièrement troublée les samedis , par la séance de la musique soufie Al Hadra. Cette soirée était un rituel thérapeutique pour les possédés qui souffrent du mal des entités surnaturelles maléfiques. Nous assistâmes à des spectacles extravagants. Les fans en transe, croquaient gaiement des raquettes épineuses de figues de barbaries. D’autres jouaient allégrement jusqu’à entailler leur bras avec des coutelas tranchants. Maintes fois, nous vîmes Lakhlifia, une belle femme de haute stature, perforer avec allure ses bras avec une épingle de nourrice. Les spectateurs évitaient de vêtir des habits de couleur rouge ou noir. Les hadaras en transe décelant ces deux couleurs, les pourchassaient. Le lendemain ces acteurs étaient sains et saufs avec nulle trace de blessure apparente.
Une fois par quinzaine, nous avions droit à une séance de projection de cinéma en plein air. Ce furent des films de Charlot, de Laurel et Hardy ou des documentaires su le rôle de l’hygiène.
Comme tous les enfants, nous consacrions beaucoup de temps à jouer des matchs de football dans le terrain plat de l’usine de crin végétal. Fautes de moyens et de ressources, nous ne jouâmes qu’avec une pelote de Tahar. Tahar ne savait guère jouer au foot. Mais vu qu’il détenait le jouet, il imposait de force sa participation au jeu (Je joue walla, walou! clamait-il).
Je m’arrêtai de parler pour lui faire signe de retourner sur nos pas. Nous nous étions oubliés. Nous étions loin de la voiture. Un long chemin de retour restait à prendre, mais nous avions de bonnes jambes. Elle rebroussa la première la ruelle, je la suivis. Au fond de moi-même, je l’admirai faisant la belle jambe. Elle mit ses jambes en valeur dans sa manière de marcher. Elle parada !
- Parfois le vendredi jour férié à cette époque, repris-je, nous organisions une randonnée dans la campagne verdâtre. Nous nous adonnâmes à une séance de pêche sur un petit ruisseau affluent du Bouregreg. Nos cannes à pêche furent des plus rudimentaires. Des tiges de roseaux, des fils de nylon et de gros hameçons. Nous ne savions pratiquer ni la pêche au toc, ni la bonne plombée. Nos appâts et asticots étaient des insectes et des vers de terre. Une fois, un de mes amis harponna une tortue et un autre une reinette verte au lieu de prendre un poisson. Ce fut un moment d’hilarité. Nous commençâmes à les brocarder de la prise. Ils libérèrent leur saisie pour taire la raillerie, et les remirent à l'eau. D’aucun avança que le matin, un gars lui eut dit « Bonne pêche !». Ce souhait est un mauvais présage pour n’importe quel pêcheur assura-t-il. Mais de nombreuses fois, nous pûmes tirer des ombles chevaliers ou des truites. Une fois la pêche terminée, nous ramassions des branches d’arbre pour faire un feu de camp. Nous creusions une fossette, utilisée comme barbecue pour déguster les poissons grillés. Les vergers d’oranges, des poires, des pommes et des figues fournissaient notre dessert. Les propriétaires indulgents ne disaient mots. Ce fut la zakât offerte à nous les chérubins pour purifier le verger des démons . Mais à aucun moment nous ne fîmes un ratissage ou une destruction de leur bien. Tant de fois les agriculteurs nous donnèrent des bidons de petit lait. Après le barattage manuel du lait caillé et l’obtention du beurre fermier, le surplus du petit lait est offert aux passants. Pour les remercier, ensemble en chœur, nous priâmes le Très Haut de bénir le bienfaiteur après avoir psalmodié la Fatiha.
- En effet vous fûtes chérubins et gentils, dit-elle. Je pense qu’il n’existe point maintenant ce genre de cultivateurs ou de séraphins comme vous. Actuellement le lait et le petit lait sont vendus à la coopérative agricole. C’est de l’or blanc !
A suivre…./.
Commentaires
Histoire captivante avec un style très fluide! Bonne continuation
Merci Nada pour le commentaire. Enchanté de ta visite.