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Et compagnie (10 ème Episode)

 

      Je ne pouvais me rassasier de l’admirer. Mais je notai que nous étions les seuls encore attablés. Les autres clients quittèrent les lieux. Durant le dîner, nous nous n'aperçûmes guère de leur présence. Je fis signe au serveur d'apporter l’addition.

-    Abdou, parle moi un peu de toi, veux-tu?

-  Une fois dehors, il fait beau temps, une promenade à pieds nous sera bénéfique et je te parlerai de moi.

-   Oui, tu as raison !

- Je réglai la facture. Nous prîmes congé et remerciâmes les responsables de l’accueil et du dîner. Au sortir, la clochette accrochée à la porte tinta encore un drelindin-din. J’affichai un large sourire en disant à Rahima :

-   Nous nous sommes bien tapés la cloche ma mie ?

-   Pardon, je n’ai rien compris.

-   Nous avons bien mangé. Un dîner gargantuesque.   

-  Oui, un  repas copieux. Je croyais que tu parlais du carillon et des appels à la joie et à la félicité  avec un grand sourire.

     Dehors, il faisait bon. Un clair de lune éclairait la ruelle. Heureusement que Rahima et moi, n’étions nullement des amants de la lune. Présentement nous  sommes ensembles. Rahima est belle comme la nuit. Nous marchâmes comme deux tourtereaux. J’allais prendre sa main pour la guider, mais je renonçai à ce marivaudage. Mon surmoi, tel un gendarme me le défendit. Nous fîmes quelques pas dans un silence religieux.

-  Abdou me dit-elle, en me montrant du doigt le ciel. Regarde l'étoile filante.

-  Fais des vœux vers le paradis pour qu’ils soient exaucés..

- Non, je n'y crois pas. Je ne suis pas superstitieuse non plus. Pour moi, une étoile filante c’est le décès d’un être humain.

- Possible ! Mais je te déconseille de montrer une étoile filante ou la lune pour éviter à ton index le panaris. Les frais de la manucure sont onéreux ces jours-çi, dis-je pour la taquiner.

-  Au restaurant, Abdou, tu m’as promis de parler de toi. Je suis curieuse de savoir.

-  Soit ! Sache Rahima, que mon destin est un des plus modestes. Je suis issu d’une humble famille. Mon père à l’âge adulte, fuyant l’animosité  et la cruauté du caïd de Mejjat dans le souss, vint s’installer dans un petit village non loin de Rabat. Sa fuite ne fut pas une frousse ni une peur de travailler dans la "touiza", mais c'est une rébellion contre la cruauté et l'esclavage de cet homme. Il quitta sa ville Imintanout, laissant derrière lui ses parents, ses frères et sa sœur et les gens du village qui l’aimaient tendrement. Mon père aussi les aimait. Laborieux et dégourdi, il put trouver un travail chez un colon français. Il se maria avec une première femme. Elle était stérile. Il divorça d’elle, pour épouser ma mère. Mon père avait entre autres, un don de musicien, il jouait merveilleusement du guembri.

-   Ne me dit pas un guembri tortue ? M’interrompit-elle souriante en pensant à notre première rencontre.

-  Nenni ! Ni guembri tortue ni guembri fait-maison avec un bidon d’huile automobile, gloussais-je avec un semblable sourire.

    Ma narration se poursuivait parfois lors d’un arrêt devant une vitrine. Nous devisâmes quelques fois des produits en ouvrant des parenthèses inattendues dans la discussion. Les passants nous lorgnèrent et convoiter notre sage allure. Nous fîmes l’ignorant.

- En l’espace de quelques années, il devint polyglotte continuai-je mon récit. Il apprit le dialecte Zemmouri (chelha régionale), le français et aussi l’espagnol. Je fus le plus choyé de mes frères. Tout petit je me permettais de parler le français avec mon père. Il aimait que je lui parlasse dans cette langue. Il était content que sa progéniture excellât dans ce langage. Il faut dire aussi que j’ai fréquenté la medersa. Il fut intransigeant pour que tous ses enfants aillent à l’école. Il nous défendait de l’aider dans ses travaux. Les grandes vacances, nous l’aidâmes tant faire se peut.

    Mon père nous disait, l’avenir c’est le savoir. L’école est la clé d’or pour ouvrir la porte de l’avenir. Mais gardez vous mes enfants de travailler avec le makhzen ou de vous engager dans l’armée. Evitez les arrivistes. Soyez agiles au feu et à la mer ! Ses conseils influèrent sur le surmoi de chacun de nous. Ma mère est une grande dame. Elle tint à aider mon père. Elle se contenta du peu de ressources. Elle était heureuse de mener sa vie en veillant sur nous et en nous protégeant. Nous vivions dans le besoin, mais nous demeurions dans la légitimité.

 

A suivre.../.

 

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