Ce ne fut pas une légère entreprise que d'aller prendre un bain. Je voulus le prendre frais et calmant. Ainsi, je me préparai la trousse de toilette, des habits lavés et deux serviettes. Le tout mis dans une besace. A dix sept heures, je quittai mon domicile, rejoignis à pieds « hammam Achabab » (hammam de la jeunesse).
Ce bain maure est situé dans le quartier où je réside. Chemin faisant, mes connaissances et mes voisins me scrutèrent, le regard furtif. Tous me souhaitèrent "Bessaha"(A ta santé). Je trouvai toujours drôle, ce vœu mal placé. C’est en trinquant des verres de cristal remplis de champagne « Exqi », que l’on forme ce vœu. Je me demandai toujours pourquoi l’on trinque les verres. Je trouvai l’explication dans un vieux livre de dégustateurs. Il expliquait la raison. L’homme a cinq sens. Quand il prend le verre il le voit, le touche, l’hume, le goûte, reste l’ouïe. Pour faire impliquer ce dernier, on trinque. Mais ceux qui me lancèrent « Bessaha », pensaient que j’eus exercé le commerce conjugal. Loin de là ! Je me disais en mon for intérieur, ce n’est que pour me décrasser et me purifier.
Finalement j’arrivai au guichet. Je payai l’entrée, prit le ticket que je remis au Gallass (vigile). Ce dernier au moins garda Bessaha pour ne point me le dire. Il me le dira en sortant, j’en suis sûr et certain. Je lui demandai bêtement, le hammam est il plein ? Affichant un sourire, il me répondit, que seules quelques personnes sont présentes. Et même s'il est plein, retournerai-je crasseux et malpropre, songeai-je!
En entrant dans la chambre de sudation, je dis Bismi Allah. Je rejoignis la troisième salle dans le brouhaha, le clapotage des seilles en bois (seaux), mêlé à la vapeur d’eau chaude gazeuse. Un gars entonnait la chanson de Mohammed Abdelwahab " Men azibak?"(Lequel te torture?). Il chantait faux. Il fut un maître-chanteur agressant l’ouïe. J’entendis aussi les cris d’un homme sous les supplices du préposé au gommage (kessal). Sans doute en entendant aïe et ahi de gémissement, le chantre, coqueriquai par raillerie.
Aux présents, je leur lançai les Bessahas récoltés lors de mon trajet. Mon attention, comme toujours d’ailleurs, fut attirée par l’allure de ces gens. Il n’y a que des squelettiques et des sous alimentés. C’est l’endroit idéal pour inciter ses chérubins à manger goulûment en leur montrant ces carrures. Ils occupèrent de grandes places en s’entourant de sept à neuf seaux. Je râlai discrètement, mais je restai sournois. J’évitai de faire la remarque à ces zigotos. Ils doivent avant tout laver leur esprit.
Je pris une place que j’eusse lavée après avoir puisé trois seaux du bassin. L’eau fut chaude. En premier lieu, j’usai le gant de toilette, le rugueux pour frotter le corps. Mon dieu, que de vermicelles ! Puis ma deuxième opération, le shampoing. Durant l’étape de la saponification deux hommes , le ventre bedonant, la quarantaine; vinrent prendre place à mes cotés. Chacun détenait cinq seaux vides. Ni salamalek, ni bessaha. Ils déposèrent leur bissac et deux petits tabourets. Les deux présentaient une calvitie hippocratique. Je pensai qu’ils sont mon futur paradeux. La calvitie me piste moi aussi. Au fond de moi-même, je songeai que ces deux messieurs ne me demanderont point « un peu de shampoing » comme le firent des énergumènes la semaine dernière. Ce n’est pas que je sois radin ou avare, mais je lave mes tifs avec une lotion sans sulfate.
Ils s’installèrent sur les sièges et commencèrent le rituel lavage. Leur stature donna l’impression qu’ils sont dans un repas champêtre. De leur discussion d’entraide, je sus que l’un s’appelait Abdlqader (serviteur du puissant) et l’autre Mimoune (le fortuné). Ils papotèrent de tout et de rien. Abdlqader aborda la confrontation entre Sarkozy et Hollande. Ce débat avança-t-il, est l’un des plus agressifs qui n’ait eu lieu auparavant et que les deux candidats furent comme deux lutteurs dans l’arène.J’allais entamer ma dernière étape du gel de bain, quand j’aie entendu Abdlqader dire.
- Mimoune, connais-tu la dernière ?
- Non ! répond-il, l’air curieux.
Je tendis l’oreille pour les écouter. Je fus moi aussi curieux de le savoir. Le hammam est l’endroit archétype pour s’informer et s‘intoxiquer de rumeurs. Pendant que Abdlqader narrai, Mimoune épluchait une orange. Mon Dieu, quel gâchis ! La vapeur, l’odeur des laveurs, le parfum des savons, des shampoings un désagréable agglomérat de fumet.
- Dans la médina, il y a un antiquaire, raconte-t-il. Deux personnes se sont présentées chez lui. Ils se présentèrent comme deux brocanteurs en discorde pour le prix d’un objet antique. Ils avancèrent qu’ils préfèrent se fier à un spécialiste des objets d’art et que cet établissement est connu pour son sérieux. L’antiquaire était flatté et séduit par ces propos. L’un exhiba une ancienne théière en étain. L’antiquaire prit l’objet en main, le scruta et leur demandait quel est le sujet de leur dissension. Moi, dit le propriétaire, pour son prix je demande 16.000 dh. Mais cet homme veut le prendre à 14.000 dh. Je suis perdant puisque j’ai investi 15.000 dh pour l’acquérir. J’ai marchandé pleinement pour l’acheter.
L’antiquaire est sublimé par la pièce et proposa au cas où ce monsieur se désiste, il offre les 16.000 dh. Le préposé acheteur, râla en lui disant qu’ils sont venus seulement pour sonder le prix. Vous me doublez en l’achetant, continua-t-il. Nous ne sommes pas « Chez Christie’s » rétorqua l’antiquaire. Sur cette réplique, le râleur quitta la boutique. L’antiquaire paya rubis sur ongle le montant de la théière au vendeur. Mais l’agioteur calculateur, après leur départ, a été assommé par cette escroquerie quand il a su que la pièce n’est en fait, qu’une contre façon et ne coûte que 60 dh. Un ersatz acheté onéreusement !
Durant la narration, j'allongeai ma baignade afin d’entendre la suite de l’histoire du marché aux dupes. Je terminai mon bain et quittai le hammam. Après ce que vous venez de lire, la morale de l’histoire : A tromper autrui, l'on risque de se duper soi-même.
Salé, le 04 Mai 2012 à 17h de relevée
Commentaires
C’est une très belle histoire ! Le passage du « commerce conjugal » m’a fait sourire ! C’est très bien dit. Ce qui est impressionnant encore c’est que tu as le don de faire d’événements ordinaires et anodins du vécu quotidien une narration pleine d’enseignes et de morale ! Je suis sûr que tu peux écrire des pages et des pages rien qu’en narrant chaque instant, chaque événement et chaque rencontre en mettant à contribution ton imaginaire cosmopolite ! Dis moi, est ce que je connais ce Mimoun ? Et est ce qu’il s’agit du même Abdelkader ?
Merci pour la visite. J'affiche un large sourire. Ce Mimoun n'est guère celui à qui tu penses.
Une belle histoire.Un voyage virtuel au hammam beldi. La narration, un message bien transmit. Bonne continuation Monsieur!
Le bonjour te sied Fadoua. Ravi d'accrocher l’intérêt d'une nouvelle lectrice.