Lors d’une grande cérémonie de mariage, 200 couverts furent dressés .Des menus anges et portes noms des convives indiquaient les places d’hôtes. Le traiteur ne négligea aucun détail. Des chemins de tables verts. Des serviettes ivoire. Même la negafa, cette habilleuse traditionnelle, elle aussi veillait au grain pour embellir Nadia, la mariée. Un orchestre joua des chansons chaude et rythmique. Tous chantèrent gaiement et tapèrent des mains. Les invités de la noce se mirent à table à vingt heures et à vingt quatre heures ils mangeaient encore.
A quatre heures du matin, après avoir six fois changé de belles tenues traditionnelles, caftans et takchitas, Nadia porta sa dernière robe d’exhibition. Une robe blanche de mariée. Elle descendit de son trône où elle était avec son Bachir. Elle l’invita à une danse. L’orchestre entama la chanson du chanteur Saad saghir: Bahibbak ya himar (Je t’aime ô l’âne). Bachir fit semblant de ne l’écouter, refusa premièrement l’invitation à la danse et se dirigea vers l’orchestre. Poliment il demanda aux musiciens d’arrêter de jouer cette chanson. Le chef d’orchestre lui répondit, que c’est le désir de la mariée. Se sentant frustré, touché dans son amour propre, il quitta la scène. Avant de quitter Nadia, il lui lança en colère:
- C’est fini entre nous! Tu es divorcée! Adieu nuit de noce!
En lisant cette histoire dans une revue arabophone, j’eus une pensée pour Bachir. Il n’a rien encore compris de la vie, ni des femmes. J’ai connu il y a des années une fille. Je l’ai rencontrée, lors d’un vernissage du peintre et écrivain Abderrahmane Zenati à Oujda. Je contemplai son tableau ‘’ Panique’’. Si Abderrahmane peignit avec tour de main, hommes, femmes et chevaux. C’est notre Raphaël marocain. Je m’approchai pour admirer le tableau ‘’Harka’’. Je vis à mes cotés une charmante Eve. Ronde et enrobée. Des habits soignés. Richement habillée. Pour l’élégance de sa mise, elle a appliqué des fards, soins qui l’embellissaient. Je fus paralysé .J’étais devant deux tableaux. Un fixe et l’autre mobile.Une belle lune. Une communion intime naquit entre nous deux. Nous admirions ensemble la même beauté.
- C’est fantasmagorique! lui dis-je sans faire le freluquet. (mon leitmotiv pour approcher une femme et lui conter fleurette).
- Du sublime! répondit-elle. Un artiste notoire. Son roman « Mémoire d’un âne de l’oriental » est mon livre de chevet. J’ai lu aussi « Mourir d’amour ». C’est captivant .
- Je vois. Je lui ai lu « Mémoire de la fourmi, El hogra et Le fou de Sarah »
Elle se pinçât les lèvres pour ne pas rire. Mais, ses yeux rirent. Je fus pris au dépourvu. Elle s’aperçut de mon émotivité.
- Je voudrai bien connaître ce fou de Sarah, répliqua-t-elle. Je m’appelle Sara, c’est pour cela que je ris.
- Charmé madame Sara. Enchanté de vous connaître.
- Je te dispense de me vouvoyer. Je ne suis encore liée.
Elle avait un sourire envoûtant, une large bouche. Sur ses lèvres fines, un rose- baisé. Nous terminâmes notre visite et continuâmes notre discussion hors du salon.
- Moi, c’est Abdou. De passage à la ville de l’oriental, je saisie cette occasion pour laver les yeux et l’esprit en visitant cette belle exposition.
- C’est drôle. Nous avons tous les deux, le penser siamois. Moi aussi j’y suis de passage pour deux jours. Mes parents habitent à Ahfir. Je réside à Anvers. Je tenais à rendre visite à cette galerie.
- Dire que Si Abderrahmane se demandait dans son roman « Les cigognes viendront-elles à Oujda ?»
- Tout à fait, dit-elle en affichant un sourire avec modestie. Je suis une émigrante en Belgique. Et comme disait Châteaubriant dans’’ itinéraire de Paris à Jérusalem’’: La jeune cigogne a toujours nourri son vieux père. Je suis venue voir mon papa et lui remettre des subsides que j’envoie trimestriellement.
- AArdaa ! (sois bénie), Tu es bénie de tes parents et de ta patrie ! Je peux proposer une chose ?
- Oui propose et moi je dispose.
- Tu es d’Ahfir et je suis de Rabat. Si nous dînions ensemble!
- Avec plaisir ! Je suis libre. Je ne vois aucun inconvénient. En sus nous avons presque les mêmes goûts et la même idole.
Nous partîmes prendre un rafraîchissement dans une pâtisserie. Nous dînâmes légèrement un succulent repas. Nous parlâmes de tout et de rien. Ce fut une ambiance amicale. Nous nous racontions des blagues l’un et l’autre. A un certain moment nous crûmes que nous ne connaissions depuis longtemps. Elle fut contente de l’ambiance, trop contente. Je remarquai que ses yeux brûlaient de désir. Un désir d’amour ardent. En m’écoutant parler, elle passait une mèche de ses longs cheveux noirs, entre ses fines lèvres. Cerf qui désire brame (Moréas). Pour appeler une chevrette, c’est le raire du brocard qu’il faut imiter. Je réai à ma façon, saisissant notre prise de tasse de café, je lui suggérai que nous poursuivissions notre débat dans ma chambre d’hôtel.
- Ce sera encore avec le plaisir, dit-elle consentante.
Je réglai la note. Ensemble, nous sortîmes du restaurant. Le temps était doux. Une légère brise faisait danser ses cheveux. Nous marchâmes la main dans la main. Elle se pendit à mon bras. Un courant de chaleur hérissa mes poils et cheveux. Un coup de désir. Une frénésie me gagna corps et âme.
Nous entrâmes dans ma chambre. Je pris la précaution d’acheter des jus et limonades dans une supérette. Nous fîmes des combats fleuris.Une lente lutte de corps. Elle me parla toute la nuit, le langage Kâma-Sûtra : Mon Missionnaire, mon Andromaque, mon cavalier à la barre et mon indolent.
Le matin, nous primes notre petit-déjeuner continental dans la chambre. Elle était radieuse, heureuse et contente. Elle fredonnait :
- J’aime l’âne Ab doux….Marchant le long des houx!
- Beau poème de Francis Jammes, ma Brigitte, reprisé-je.
Je souriais. Je savais que cette épithète me valait l’organe copulateur asinien que j’aie et pour mes bijoux de famille. C’est un honneur pensais-je. D’autant plus que l’âne, est de bonne souche . Ses parents sont connus.
- Tu m’as rendue heureuse cette nuit, me dit-elle de vive voix. Pour la première fois dans ma vie, je suis vraiment satisfaite. Au fond de moi-même, je jubile. Voir mes parents, visiter l’exposition, te rencontrer hasardeusement, passer de si agréables instants à tes cotés, c’est du rêve. Je n’oublierai jamais ce jour. Tu m’as honorée.
- Je t’en prie Sara. Nos noms se connaissaient dans le ciel et s’embrassèrent avant de descendre sur terre. Moi aussi, je m’en souviendrai de toi.
- J’ai une petite question à te poser.
- Oui ma Brigitte!
- Petit que mangeais-tu le matin ?
- Le pain d’orge et le thé.
- Et à midi?
- Le pain d’orge et le thé.
- Et le soir?
- Le pain d’orge et le thé.
- Laissez-moi rire ! Seul le thé, te différencie, avec l’âne !
- Brigitte, qui s’assemble se ressemble. Hmar Oubikhir! (Imbécile heureux)
Je ne dis mot à ce baroud d’honneur. Nous quittâmes les lieux contents l’un et l’autre. Je la conduisis aux grands taxis. Ce fut une séparation chagrineuse. De ses yeux coulaient des larmes. Moi, j’eus le cœur en larmes.
Des mois passèrent. Un jour, d’Anvers elle me téléphona. Après le salut, elle me dit :
- Abdou, je vais me marier. J’épouse un mulet !
- Sois heureuse Sara. Prends-le en main, il sera de bonne souche !
Salé, le 28 Avril 2008.