- Patience ! Attend voir ces archanges répliquai-je. Les gamins du village se distrayaient des fois méchamment. Ils harcelaient un pauvre homme connu pour ses souleries. Ils vociféraient le sobriquet de Halloufa (la truie) à son encontre. Cette appellation l’irritait et le mettait en colère. Il courrait après ceux qui le scandaient.
- Ah si mon ex, y demeurai, rétorqua-t-elle.
- Tu dis cela pour le mépriser ou penses-tu encore à lui ?
- Non ! Ni regret, ni nostalgie. Passons, veux-tu ? Oublions-le. Il ne mérite pas d’en parler en ce beau moment si romantique.
- En vérité, Halloufa était un homme prévenant, enthousiaste et nullement agressif, continuai-je. Célibataire endurci, les habitants lui accordaient la pitance et la charité. Dans le village, il y avait le courant électrique, mais il n’y avait pas d’eau courante. Il y existait seulement deux puits. Celui de Rachcham et de celui l’usine de crin végétal. Halloufa puisait les seaux d’eau de ces puits pour les familles. Les recettes de porteur d’eau, lui permettaient de fréquenter la dive bouteille à l’Auberge de la Gaieté ou au Café de la Mamora. Par respect au nom de Mohammed qu’il portait, je n’ai jamais adressé ce surnom pour le héler. Au fait me semble-t-il, c’était une idée des grands du village pour inciter les bambins à éviter le vin. Celui qui boit l’alcool, subira le même sort. Mais il n’y avait pas que Halloufa. Il y avait Laaskri, le gargotier,"Magnin" le charretier. Son petit âne de trait, me faisait penser à Blanquet, l’âne de Jean-de-figues (Excellent Blanquet ! comme je l’aimais avec ses belles oreilles touffues et son long poil blanchi en maints endroits par le soleil, les coups de bâton et la rosée). Un livre captivant de Paul Arène que je garde précieusement avec des grands œuvres littéraires dans ma modeste bibliothèque. En outre il y résidait aussi Ben Abed, un militaire harki réfugié au Maroc ; pour ne citer que ceux là. Ben Abed fut l’un des premiers enseignants de la langue française au sein de l’école. Bien qu’il touchât un consistant pécule de retraité militaire, il n’avait jamais acheté de véhicule. Je me demandais chaque fois, comment en état d’ébriété avancée pouvait-il retourner à sa fermette à bicyclette ? Pour anecdote, un jour il demanda au tenancier du bar s’il avait le même vin bu le jour d’avant. Le barman niais lui répondait positivement. Il lui dit qu’il repassera quand il n’y aura plus. Depuis, il ne remit plus son pied dans l’estaminet.
Je lui volais un sourire. Au même moment une jeune fleuriste sortait d’un restaurant de la ruelle et offrit à Rahima une rose couleur de carmin en disant :
- Madame, Ronsard dans un poème rima : Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
- Regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain, dis-je en réponse.
- Waw ! Que voici un Ronsardien ! Vous avez la chance madame d’avoir cet homme, dit-elle en s’adressant à Rahima. J’imagine que vous êtes ensemble en face de la cheminée à la maison. Votre homme en train de vous lire « le roman de la rose ». Les flammes du feu de l’âtre projetant votre silhouette sur le mur au son doux des crépitements du bois brulé.
- C’est gentille de votre part mademoiselle. Croyez vous que je puisse lire 22.000 vers d’un seul trait ?
La fleuriste chantait-elle des louanges ou ce n’était qu’un petit ton de tartuffe, pensais-je. J’allais lui accorder une gratification pour ces belles paroles. Je fus impressionné par son imagination fertile. Je ne voulu continuer cette discussion, pour ne point la retenir et par respect envers ma campagne (le surmoi est encore éveillé).
Rahima prit la rose par son rameau. Voulait-elle cueillir une rose de la vie comme dit Ronsard? Elle rapprocha la rose de ses lèvres, l’huma et l’embrassa. La couleur de la rose et de ses lèvres peintes au carmin se confondit. Elle poussa un soupir d’aise. Je remerciais la fleuriste pour son discours et tirais un billet tout neuf pour la payer. Satisfaite, elle repartait contente. Rahima la remercia d’un beau sourire.
- Abdou, c’est quoi ce roman de la rose ?
- Le Roman de la Rose est une œuvre poétique de 22.000 vers. Il a été écrit en deux temps : Guillaume de Lorris et par Jean de Meung. La première partie conte la cour d’un homme à son aimée et ses tentatives de pénétrer dans un jardin clôturé symbolisant la belle. La seconde présente une discussion plus philosophique de l’amour ainsi que des digressions sur des sujets variés tournant parfois en dérision certaines idées et sentiments exprimés par Guillaume de Lorris. C’est un guide de la façon d’aimer.
- Tu me donnes l’envie de lire cette œuvre.
- Soit, mais ne compte pas sur moi pour te la lire devant une cheminée, dis-je plaisamment.
- Abdou, tu m’épates encore. Parles-moi veux-tu de ton adolescence, de tes aventures et mésaventures.
- J’y suis presque ma dame. Comme le disait Sartre dans « les mots », à l’âge pubertaire, je n’ai jamais quêté un nid d’oiseaux sur les arbres. Je n’ai jamais jeté une pierre sur un chien ou un animal. La maltraite des ânes de trait me faisait de la peine.
- Monsieur Noé ! L’ami des bêtes, me lança-t- elle me taquinant.
- Pardon, Rahima n’est guère une bête. Je suis heureux et veinard de trouver en toi la femme polyvalente. Merci de l’adjectif et de l’épithète. C’est un titre honorifique pour moi que d’être défenseur des bêtes. Saches aussi mon Amie (avec grand A, précisai-je), que j’avais, j’ai et j’aurai encore, aussi une grande pitié pour les non-voyants et les démunis.
Elle devint toute cramoisie et afficha un sourire d’aise.
A suivre…../.