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  • Et compagnie (13 ème Episode)

     

    -  Après mes études primaires dans mon village, continuais-je à la bonne franquette, je devais aller à Rabat afin de parfaire le secondaire au Lycée Moulay Youssef. Après l’obtention du baccalauréat, je fis quelques années de Droit que je ne pus terminer. Je dus quitter le banc universitaire pour subvenir aux besoins de ma famille. Une fripouille, gros ventre et responsable d’autorité, redouté et craints par les villageois, insuffla aux autorités provinciales d’aménager et de reconstruire le bourg. Il haïssait ceux qui ne sont pas issus de la région. Une discrimination notoire entre l’appartenance ou non-appartenance du village. Tout un quartier de boutiques et  cafés maures furent détruits. Le siège du commerce, gagne-pain de mon père et notre maisonnette connurent le même sort. Les sinistrés ne furent guère dédommagés. Je dus quitter mes études pour subvenir aux besoins de mes parents et de mes frères et sœurs. Je trouvais un petit travail dans la capitale et priais ma famille de me rejoindre. Ce fut dur au début, mais je tins à reprendre le relais que mon père me céda malgré lui. Dieu merci, je pus mener ma mission honorablement. Mes frères et sœurs grandirent dans l’honorabilité, obtinrent des diplômes et accédèrent à l’emploi. Et je suis content d’avoir accompli mon devoir de soutien et d’assistance. Mes deux parents m’accordèrent leur bénédiction. Pour répondre à leur grâce, je prenais l’initiative de les envoyer au Hadj. Mes frères et sœurs participèrent aux frais du pèlerinage pour qu’ils bénéficient eux aussi, de la bénédiction parentale. Voilà grosso modo mon trajet de vie, dis-je pour terminer.

        Elle glissa sa main droite dans ma gauche et nous marchâmes à pas retenus.

    -  Hé ben Abdou, tu as souffert. Une jeunesse et une vie drues. C’est une histoire poignante et trépidante à raconter dans un livre. Reste qu’après tout cela, tu es devenu un homme expérimenté. Edouard Bled disait : Quels que soient les chemins où les événements l’entraînent, l’homme reste toute sa vie l’enfant de son enfance.       

     -   Je projette le faire le moment venu, si Dieu le veuille. Je le ferais pour moi-même, puisque je ne prétends ni à publier pour en tirer de l’argent, ni à aspirer à un prix. Ce sera un recueil englobant tous mes écrits passés, présents et futurs. Un legs qui sera confié à nos enfants.

    -   Et le truand du village, si je peux te poser cette question ?

    -   Crois moi, les villageois atteints dans leur quotidien, priaient chaque jour Le Très Haut pour le châtiment de ce chenapan. Je t’assure que quelques mois après, il fut licencié et limogé de son poste. Il sombra dans un gouffre d’amertume. Quelques jours après, il tomba malade et mourut. Toute sa richesse ne pouvait le sauver. 

    A suivre......

     

  • Et compagnie (12 ème Episode)

     

    -   Patience ! Attend voir ces archanges répliquai-je. Les gamins du village se distrayaient des fois méchamment. Ils harcelaient un pauvre homme connu pour ses souleries. Ils vociféraient le sobriquet de Halloufa (la truie) à son encontre. Cette appellation l’irritait et le mettait en colère. Il courrait après ceux qui le scandaient.

    -    Ah si mon ex, y demeurai, rétorqua-t-elle. 

    -   Tu dis cela pour le mépriser ou penses-tu encore à lui ?

    -   Non ! Ni regret, ni nostalgie. Passons, veux-tu ? Oublions-le. Il ne mérite pas d’en parler en ce beau moment si romantique.

    -   En vérité, Halloufa était un homme prévenant, enthousiaste et nullement agressif, continuai-je. Célibataire endurci, les habitants lui accordaient la pitance et la charité. Dans le village, il y avait le courant électrique, mais il n’y avait pas d’eau courante. Il y existait seulement deux puits. Celui de Rachcham et de celui l’usine de crin végétal. Halloufa puisait les seaux d’eau de ces puits pour les familles. Les recettes de porteur d’eau, lui permettaient de fréquenter la dive bouteille à l’Auberge de la Gaieté ou au Café de la Mamora. Par respect au nom de Mohammed qu’il portait, je n’ai jamais adressé ce surnom pour le héler. Au fait me semble-t-il, c’était une idée des grands du village pour inciter les bambins à éviter le vin. Celui qui boit l’alcool, subira le même sort. Mais il n’y avait pas que Halloufa. Il y avait Laaskri, le gargotier,"Magnin" le charretier. Son petit âne de trait, me faisait penser à Blanquet, l’âne de Jean-de-figues (Excellent Blanquet ! comme je l’aimais avec ses belles oreilles touffues et son long poil blanchi en maints endroits par le soleil, les coups de bâton et la rosée). Un livre captivant de Paul Arène que je garde précieusement avec des grands œuvres littéraires dans ma modeste bibliothèque. En outre il y résidait aussi Ben Abed, un militaire harki réfugié au Maroc ; pour ne citer que ceux là. Ben Abed fut l’un des premiers enseignants de la langue française au sein de l’école. Bien qu’il touchât un consistant pécule de retraité militaire, il n’avait jamais acheté de véhicule. Je me demandais chaque fois, comment en état d’ébriété avancée pouvait-il retourner à sa fermette à bicyclette ? Pour anecdote, un jour il demanda au tenancier du bar s’il avait le même vin bu le jour d’avant. Le barman niais lui répondait positivement. Il lui dit qu’il repassera quand  il n’y aura plus. Depuis, il ne remit plus son pied dans l’estaminet.

          Je lui volais un sourire. Au même moment une jeune fleuriste sortait d’un restaurant de la ruelle et offrit à Rahima une rose couleur de carmin en disant :

    -   Madame, Ronsard dans un poème rima : Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.

    -    Regrettant mon amour et votre fier dédain. Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain, dis-je en réponse.

    -   Waw ! Que voici un Ronsardien ! Vous avez la chance madame d’avoir cet homme, dit-elle en s’adressant à Rahima. J’imagine que vous êtes ensemble en face de la cheminée à la maison. Votre homme en train de vous lire « le roman de la rose ». Les flammes du feu de l’âtre projetant votre silhouette sur le mur au son doux des crépitements du bois brulé.

    -    C’est gentille de votre part mademoiselle. Croyez vous que je puisse lire 22.000 vers  d’un seul trait ?

          La fleuriste chantait-elle des louanges ou ce n’était qu’un petit ton de tartuffe, pensais-je. J’allais lui accorder une gratification pour ces belles paroles. Je fus impressionné par son imagination fertile. Je ne voulu continuer cette discussion, pour ne point la retenir et par respect envers ma campagne (le surmoi est encore éveillé).

          Rahima prit la rose par son rameau. Voulait-elle cueillir une rose de la vie comme dit Ronsard? Elle rapprocha la rose de ses lèvres, l’huma et l’embrassa. La couleur de la rose et de ses lèvres peintes au carmin se confondit. Elle poussa un soupir d’aise. Je remerciais la fleuriste pour son discours et tirais un billet tout neuf pour la payer. Satisfaite, elle repartait contente. Rahima la remercia d’un beau sourire.

    -     Abdou, c’est quoi ce roman de la rose ?

    -     Le Roman de la Rose est une œuvre poétique de 22.000 vers. Il a été écrit en deux temps : Guillaume de Lorris et par Jean de Meung. La première partie conte la cour d’un homme à son aimée et ses tentatives de pénétrer dans un jardin clôturé symbolisant la belle. La seconde présente une discussion plus philosophique de l’amour ainsi que des digressions sur des sujets variés tournant parfois en dérision certaines idées et sentiments exprimés par Guillaume de Lorris. C’est un guide de la façon d’aimer.

    -    Tu me donnes l’envie de lire cette œuvre.

    -  Soit, mais ne compte pas sur moi pour te la lire devant une cheminée, dis-je plaisamment.

    - Abdou, tu m’épates encore. Parles-moi veux-tu de ton adolescence, de tes aventures et mésaventures.

     -  J’y suis presque ma dame. Comme le disait Sartre dans « les mots », à l’âge pubertaire, je n’ai jamais quêté un nid d’oiseaux sur les arbres. Je n’ai jamais jeté une pierre sur un chien ou un animal. La maltraite des ânes de trait me faisait de la peine.

    -    Monsieur Noé ! L’ami des bêtes, me lança-t- elle me taquinant.

    -   Pardon, Rahima n’est guère une bête. Je suis heureux et veinard de trouver en toi la femme polyvalente. Merci de l’adjectif et de l’épithète. C’est un titre honorifique pour moi que d’être défenseur des bêtes. Saches aussi mon Amie (avec grand A, précisai-je), que j’avais, j’ai et j’aurai encore, aussi une grande pitié pour les non-voyants et les démunis.

         Elle devint toute cramoisie et afficha un sourire d’aise.

    A suivre…../.

     

  • Et compagnie (11 ème Episode)

      

        Force est de constater que les garçons du village, furent jaloux de notre train-train de vie. Nous n’avions  point de loisirs dans le village, hormis une salle de jeu de billard. Mon père et notre frère aîné nous défendaient de fréquenter ce lieu de délinquance. La quiétude du bourg fut régulièrement troublée les samedis , par la  séance de la musique soufie Al Hadra. Cette soirée était un rituel thérapeutique pour les possédés qui souffrent du mal des entités surnaturelles maléfiques. Nous assistâmes à des spectacles extravagants.  Les fans en transe, croquaient gaiement des raquettes épineuses de figues de barbaries. D’autres jouaient allégrement jusqu’à entailler leur bras avec des coutelas tranchants. Maintes fois, nous vîmes Lakhlifia, une belle femme de haute stature, perforer avec allure ses bras avec une épingle de nourrice. Les spectateurs évitaient de vêtir des habits de couleur rouge ou noir. Les hadaras en transe décelant ces deux couleurs, les pourchassaient. Le lendemain ces acteurs étaient sains et saufs avec nulle trace de blessure apparente.

        Une fois par quinzaine, nous avions droit à une séance de projection de cinéma en plein air. Ce furent des films de Charlot, de Laurel et Hardy ou des documentaires su le rôle de l’hygiène.

        Comme tous les enfants, nous consacrions beaucoup de temps à jouer des matchs de football dans le terrain plat de l’usine de crin végétal. Fautes de moyens et de ressources, nous ne jouâmes  qu’avec une pelote de Tahar. Tahar ne savait guère jouer au foot. Mais vu qu’il détenait le jouet, il imposait de force sa participation au jeu (Je joue walla, walou! clamait-il).

         Je m’arrêtai de parler pour lui faire signe de retourner sur nos pas. Nous nous étions oubliés. Nous étions loin de la voiture. Un long chemin de retour restait à prendre, mais nous avions de bonnes jambes. Elle rebroussa la première la ruelle, je la suivis. Au fond de moi-même, je l’admirai faisant la belle jambe. Elle mit ses jambes en valeur dans sa manière de marcher. Elle parada !

    -  Parfois le vendredi jour férié à cette époque, repris-je, nous organisions une randonnée dans la campagne verdâtre. Nous nous adonnâmes à une séance de pêche sur un petit ruisseau affluent du Bouregreg. Nos cannes à pêche furent des plus rudimentaires. Des tiges de roseaux, des fils de nylon et de gros hameçons. Nous ne savions pratiquer ni la pêche au toc, ni la bonne plombée. Nos appâts et asticots étaient des insectes et des vers de terre. Une fois, un de mes amis harponna une tortue et un autre une reinette verte au lieu de prendre un poisson. Ce fut un moment d’hilarité. Nous commençâmes à les brocarder de la prise. Ils libérèrent leur saisie pour taire la raillerie, et les remirent à l'eau. D’aucun avança que le matin, un gars lui eut dit « Bonne pêche !». Ce souhait est un mauvais présage pour n’importe quel pêcheur assura-t-il. Mais de nombreuses fois, nous pûmes tirer des ombles chevaliers ou des truites. Une fois la pêche terminée, nous ramassions des branches d’arbre pour faire un feu de camp. Nous creusions une fossette, utilisée comme barbecue pour déguster les poissons grillés. Les vergers d’oranges, des poires, des pommes et des figues fournissaient notre dessert. Les propriétaires indulgents ne disaient mots. Ce fut la zakât offerte à nous les chérubins pour purifier le verger des démons . Mais à aucun  moment nous ne fîmes un ratissage ou une destruction de leur bien. Tant de fois les agriculteurs nous donnèrent des bidons de petit lait. Après le barattage manuel du lait caillé et l’obtention du beurre fermier, le surplus du petit lait est offert aux passants. Pour les remercier, ensemble en chœur, nous priâmes le Très Haut de bénir le bienfaiteur après avoir psalmodié la Fatiha.

    -   En effet vous fûtes chérubins et gentils, dit-elle. Je pense qu’il n’existe point maintenant ce genre de cultivateurs ou de séraphins comme vous. Actuellement le lait et le petit lait sont vendus à la coopérative agricole. C’est de l’or blanc !  

     

    A suivre…./.

     

     

  • Et compagnie (10 ème Episode)

     

          Je ne pouvais me rassasier de l’admirer. Mais je notai que nous étions les seuls encore attablés. Les autres clients quittèrent les lieux. Durant le dîner, nous nous n'aperçûmes guère de leur présence. Je fis signe au serveur d'apporter l’addition.

    -    Abdou, parle moi un peu de toi, veux-tu?

    -  Une fois dehors, il fait beau temps, une promenade à pieds nous sera bénéfique et je te parlerai de moi.

    -   Oui, tu as raison !

    - Je réglai la facture. Nous prîmes congé et remerciâmes les responsables de l’accueil et du dîner. Au sortir, la clochette accrochée à la porte tinta encore un drelindin-din. J’affichai un large sourire en disant à Rahima :

    -   Nous nous sommes bien tapés la cloche ma mie ?

    -   Pardon, je n’ai rien compris.

    -   Nous avons bien mangé. Un dîner gargantuesque.   

    -  Oui, un  repas copieux. Je croyais que tu parlais du carillon et des appels à la joie et à la félicité  avec un grand sourire.

         Dehors, il faisait bon. Un clair de lune éclairait la ruelle. Heureusement que Rahima et moi, n’étions nullement des amants de la lune. Présentement nous  sommes ensembles. Rahima est belle comme la nuit. Nous marchâmes comme deux tourtereaux. J’allais prendre sa main pour la guider, mais je renonçai à ce marivaudage. Mon surmoi, tel un gendarme me le défendit. Nous fîmes quelques pas dans un silence religieux.

    -  Abdou me dit-elle, en me montrant du doigt le ciel. Regarde l'étoile filante.

    -  Fais des vœux vers le paradis pour qu’ils soient exaucés..

    - Non, je n'y crois pas. Je ne suis pas superstitieuse non plus. Pour moi, une étoile filante c’est le décès d’un être humain.

    - Possible ! Mais je te déconseille de montrer une étoile filante ou la lune pour éviter à ton index le panaris. Les frais de la manucure sont onéreux ces jours-çi, dis-je pour la taquiner.

    -  Au restaurant, Abdou, tu m’as promis de parler de toi. Je suis curieuse de savoir.

    -  Soit ! Sache Rahima, que mon destin est un des plus modestes. Je suis issu d’une humble famille. Mon père à l’âge adulte, fuyant l’animosité  et la cruauté du caïd de Mejjat dans le souss, vint s’installer dans un petit village non loin de Rabat. Sa fuite ne fut pas une frousse ni une peur de travailler dans la "touiza", mais c'est une rébellion contre la cruauté et l'esclavage de cet homme. Il quitta sa ville Imintanout, laissant derrière lui ses parents, ses frères et sa sœur et les gens du village qui l’aimaient tendrement. Mon père aussi les aimait. Laborieux et dégourdi, il put trouver un travail chez un colon français. Il se maria avec une première femme. Elle était stérile. Il divorça d’elle, pour épouser ma mère. Mon père avait entre autres, un don de musicien, il jouait merveilleusement du guembri.

    -   Ne me dit pas un guembri tortue ? M’interrompit-elle souriante en pensant à notre première rencontre.

    -  Nenni ! Ni guembri tortue ni guembri fait-maison avec un bidon d’huile automobile, gloussais-je avec un semblable sourire.

        Ma narration se poursuivait parfois lors d’un arrêt devant une vitrine. Nous devisâmes quelques fois des produits en ouvrant des parenthèses inattendues dans la discussion. Les passants nous lorgnèrent et convoiter notre sage allure. Nous fîmes l’ignorant.

    - En l’espace de quelques années, il devint polyglotte continuai-je mon récit. Il apprit le dialecte Zemmouri (chelha régionale), le français et aussi l’espagnol. Je fus le plus choyé de mes frères. Tout petit je me permettais de parler le français avec mon père. Il aimait que je lui parlasse dans cette langue. Il était content que sa progéniture excellât dans ce langage. Il faut dire aussi que j’ai fréquenté la medersa. Il fut intransigeant pour que tous ses enfants aillent à l’école. Il nous défendait de l’aider dans ses travaux. Les grandes vacances, nous l’aidâmes tant faire se peut.

        Mon père nous disait, l’avenir c’est le savoir. L’école est la clé d’or pour ouvrir la porte de l’avenir. Mais gardez vous mes enfants de travailler avec le makhzen ou de vous engager dans l’armée. Evitez les arrivistes. Soyez agiles au feu et à la mer ! Ses conseils influèrent sur le surmoi de chacun de nous. Ma mère est une grande dame. Elle tint à aider mon père. Elle se contenta du peu de ressources. Elle était heureuse de mener sa vie en veillant sur nous et en nous protégeant. Nous vivions dans le besoin, mais nous demeurions dans la légitimité.

     

    A suivre.../.