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  • Et compagnie (9 ème Episode)

          Au moment où, elle termina ces paroles, son portable sonna. Elle le prit et lit l’appelant en faisant une grimace. Elle changea de teint. Je sus qu’elle avait une colère facile et flamboyante. En gesticulant, les deux fins bracelets d’or de son bras droit s’entrechoquèrent et résonnèrent. Elle prit son verre à pied d’eau et bu à petites lampées.

     -  Que veux-tu encore ?  Gronda-t-elle. C’est fini entre nous et ne m’appelle plus. Je ne veux plus te voir. Je veux plus te souffrir. Adieu !

        Elle décrocha le portable, l’éteignant et le jetant dans son sac en déclamant une tirade de mécontentement.

    -  Excuse-moi Abdou, pour cet emportement. Aviné et saoul, il s’excusait de la scène de tout à l’heure. Les dépenses excessives des bacchanales vont l’abîmer. Il est devenu ivrogne, s’il m’était permis, je lui accorderai une couronne de pampre.

    -  Ce n’est grave, dis-je. Ce n’est point la peine d’alambiquer ton esprit inutilement pour un homme qui délaisse sa moitié pour un demi. L’abus du vin le conduira à la bière !

        En mon for intérieur, je fus ravi qu’elle le fasse. Elle m'a touché par l'abandon qu'elle mit dans ses confidences. Elle est belle et charmante et encore intacte. Elle a une bonne situation. C’est la femme tant désirée.

         Le serveur nous rejoignit pour le choix du dessert. Je demandai mocho chocolat qu’elle aimait et le gingembre confis pour moi.

    -  Où étions nous ? dit-elle, en me tirant de ma léthargie.

    -  Là, où tu ne parlais que bilingue.

    - Non, avant je parlai de la Sadaqa (repas de charité). Après cela mon père et ses acolytes du village, établirent leur document de voyage et regagnèrent la France. Parmi ses compagnons, il y a celui qui fit copier-coller.

    -   Ah monsieur fac-similé! 

    -  Bref mon père revint en congé, l’année suivante. En renouvelant son contrat de travail, il demanda le regroupement de famille comme le firent ses camarades. Ainsi, mon frère, ma sœur et moi, nous partîmes avec ma mère rejoindre mon père. Je fis ma scolarité primaire, secondaire à Lille. Après le baccalauréat, je pus m’inscrire à l’IUT dans la même ville. J’eus le diplôme universitaire de technologie (DUT), spécialité Gestion de la Communication Publique. Je ne me sentais pas bien, dans ce coin. Le froid rigoureux et la discrimination me rendirent malade. Les puits de charbon fermèrent les uns après les autres en 1985. Le plan social de fermeture des mines, des préretraites et reconversions furent offertes aux mineurs. Et ceux qui souhaitent repartir au Maroc peuvent bénéficier d’une aide au retour. Mon père en bonne santé saisit cette opportunité. Nous regagnâmes le pays. Il faut dire que de nombreux Marocains revinrent au pays sourds et silicosés.

     

        Elle s’arrêta de parler, en voyant le serveur poser le dessert sur la table. Une pause pour qu’elle reprenne le souffle. Un moment d’arrêt dans cette soirée imprégnée de sa douceur. Elle goûta le mocho chocolat. Elle le délecta avec plaisir. Elle se pourlécha les lèvres et passait sa langue sur les lèvres fines maquillées. C’est exquis, susurra-t-elle.Un sourire d’aise s’afficha sur ses babines. Je souris de connivence. Pendant ce silence, je fus suspendu à ses lèvres. Sans la quitter des yeux,  j’entamai mon dessert sans desserrer les dents.    

     

    -  De retour au douar devenu une ville prospère, grâce aux investissements des émigrés, reprit-elle, mon père m’aida à installer un fond de commerce. Un jour, le fac-similé vint demander ma main pour son fils cadet, Sdi mimoune, ainsi le chérissait-il. Comme il était le grand ami de mon père, j’acceptai ce mariage qui ne dura que deux ans.

     

    - Quelle étrangeté du destin ! Deux années de lune de fiel. Rahima. Le système de sélection mis en place par Mora fut bien rodé pour recruter les mineurs marocains. Si j’étais ce monsieur, je devais choisir une belle femme, charmante et sociable. Qui a une dentition blanche éclatante et bien alignée. Qui a un long cou, une abondante chevelure noire. Une séduisante aux yeux châtains et la poitrine mahousse. Une ravissante à la belle stature. Le Mora ci-devant veut rompre le contrat de deux mois qui le liait avec toi. Je le rejette et le refuse.

     

         Elle rougit. Elle fut la proie d’une frayeur qui émut son esprit. Elle fut saisie d’une crainte qui corrompit le plaisir de cette soirée. Un lourd silence stagna.

    -   Où veux-tu en venir  Abdou? dit-elle la voix mouillée.

     

       Elle n’a pas saisi la portée de mes dires. Ces mots troublèrent ses sens. Cependant, Rahima troubla mon cœur.

     

    - Si Mora recruta des travailleurs, je propose à Rahima que nous travaillons ensemble la main dans la main pour construire ensemble notre avenir et fonder un nid douillet. Je t’offre mon nom si tu le consens.

    - Tu m’as fais peur Wallah, cria-t-elle, en lâchant un ouf de soulagement. Avec plaisir, Je veux être ta complice. Moi aussi, avec toi, j’ai cette chance de trouver la pie au nid continua-t-elle. Elle rapprocha son visage, esquissa un petit sourire en croisant mon regard et me récita trois vers de Raymond Sebond, dit-elle :

    C’est ainsi que dans leur file brune.

    Les fourmis se touchent l’une l’autre du museau.

    Peut-être pour savoir leur voie et leur fortune.

     

    A suivre. /….

  • Et compagnie (8 ème Episode)

             Elle s’arrêtait de temps à autres, pour manger ou boire de l’eau que je lui servais par galanterie. Durant son récit, elle redéposait ses baguettes sur la table. Elle plantait parfois ses yeux dans les miens pour voir, si je suis attentionné à son récit. J’eus par moment les yeux de Chimène. Je ne pus m’empêcher de la regarder et l’admirer durant sa narration.

             - J’ai oublié de te dire, indique-t-elle, qu’auparavant et durant la seconde guerre mondiale la France cherchait  des guerriers aguerris. Elle opta pour la région de Zemmour et Zayane pour enrôler et embrigader les soldats, les goumiers, afin de libérer son territoire de la domination allemande et aussi pour guerroyer en Indochine.

             Vers les années soixante, et à l’aube de notre indépendance, marmonna-t-elle, l’Hexagone cherchait une main d’œuvre bon marché. Elle  eut l’idée d’envoyer un militaire, Mora,  dans la région du Souss, pour recruter des jeunes, forts et en bonne santé afin de travailler dans les mines. Durant le protectorat, le Résident général savait l’indocilité, le courage et la sérénité des Soussis.

            Ainsi, le sergent Mora devait recruter des hommes ne sachant ni lire, ni écrire. Ceux qui parlent le français furent automatiquement bannis. Ils ne devaient porter aucune étiquette extérieure de la modernité, même l’habit d’un slip. Il examinait les dents, les oreilles, les yeux, les muscles et la colonne vertébrale.

           Je remarquai qu’elle était excitée et d’humeur coléreuse en exposant l’histoire de son père. J’acquiesçai d’un sourire pour la soutenir dans son récit.   

             Les responsables locaux facilitaient sa mission, rajoutât-elle. Ils avaient chargé des crieurs publics pour lancer l’appel au recrutement. Mon père eut vent de cet enrôlement, par le biais des jeunes du douar.  Sans dire mot à ses parents et après mûres réflexions, il décide à tenter sa chance. Vu sa carrure, Il ne trouva aucune difficulté pour être embauché. La commission chargée du tri, tamponnait avec un cachet de couleur verte le thorax des recrues qui doit urgemment gagner le jour qui suit, Ain Borja à Casablanca pour une visite médicale approfondi. Le cachet s’effaçait après quarante huit heures. Par contre le rouge était destiné aux recalés. Certains s’arrachaient la peau en essayant de l’effacer pour retenter leur chance. Essoufflé, en sueur, un ami de mon père, craignant d’être refusé, lui demanda; de poser le cachet vert sur sa poitrine. Cette triche lui permit à passer le contrôle médical.

    -   De l’esclavage pur et simple, dis-je, l’interrompant pour lui donnait un temps de répit ! Tu sais Rahima, je me demande sur le sort du bélier. Qu’advient-il après cela ?

    -      Ah le mouton! dit-elle avec un large sourire. A son retour de Casa, avec avis favorable, mon grand-père, heureux de cette aubaine, organisa une réception de charité en son honneur. Des fkihs qui psalmodièrent le Coran, ainsi des villageois riches et démunis y assistèrent. Le bélier fut sacrifié et le couscous fut servi à cette occasion aux invités. Pour l’histoire, mon père n’a pas voulu assister à la scène où mon grand-père immola l’ovidé. Il ne cessait de clamer, si moi je vais au paradis français, ce mouton ira lui, au vrai paradis de l’au delà.  Après le départ, des fkihs, tard dans la nuit, une troupe de femmes chantèrent des chants, Izlan  glorifiant les vainqueurs et médisant les recalés.

    - Dis-moi Rahima, j’ai remarqué que depuis notre rencontre, Tu ne parles point l’arabe.

    - Oui, c’est vrai ! A l’âge de trois ans, j’ai regagné la Lorraine. Je ne parlai que Soussi, ma langue maternelle. J’ai appris le français là-bas. De retour au Maroc, bilingue, je ne connaissais seulement que quelques bribes de l’arabe.  

    A suivre./...

     

  • Et compagnie (7 ème Episode)

     

    -         Que choisissez vous madame ? dit le serveur, en tenant un pense bête à la main.

    -         Mon homme va me choisir le menu, lui dit-elle timidement.

    -    Nous voudrions du sukiyai, dis-je. Je pense que c’est un plat qui se mange à deux. Apportez nous aussi un okonomiyaki, cette crêpe contenant des ingrédients,  nouille,  choux et lard et enfin une bouteille d’eau minérale.

    -    Soit ! C’est noté, répondit-il avec un léger sourire en allant à la cuisine pour lancer la commande. Il sut que je suis un habitué de la gastronomie japonaise de par ma commande.

    -    Abdou, ce plat nous suffira largement. Pourquoi la crêpe et ce gâchis ?

    -    Bonne question, dis-je avec un sourire épanoui. Pourquoi j’ai opté pour ce matefaim, sache qu’okonomi veut dire ‘’ce que vous aimez’’, et yaki c’est cuit. Yaki ? (En dialecte marocain : Tu comprends ?). Il n’y a point de gâchis,  tu es mon invitée ce soir.

    -         Tu me surprends de nouveau Abdou. 

    -         Comment de nouveau ? dis-je l’apostrophant.

    -    Tout à l’heure à la maison, tu m’as parlé des fleurs d’oranger et de la virginité. Sincèrement, c’est une chose que j’ignorais. Mais que font nos concitoyennes pour signifier cela ?

    -         Euh ! dis-je hésitant.

         Elle parlait doucement, de temps à autre, les yeux révulsés retournés vers le haut. Un beau regard blanc. Je bégayai dans mes idées, ne sachant quoi dire. Pour fuir son regard ; j’eus le reflexe de scruter la salle. Il y avait un fanion sur le buffet. C’eût été dru de répondre, mais j’eus l’idée et l’issue échappatoire.

    -    Eh ben nos compatriotes, hissent le drapeau Nippon ! Dis-je la voix amusée.

    -         Méchant ! Me dit-elle le visage radieux.

    -    Rahima, je ne place pas la feuille de vigne dans mes propos comme font les hypocrites. J’use le franc-parler sans détours.

    -    Je le sais. Je te taquine pour te provoquer. Ne me laisse pas te dire, que j’apprécie fortement ton intelligence. J’abhorre les gars naïfs.  

          Le serveur apporta notre commande. Il déposa huit petites assiettes et un plat garni de la crêpe. Je lui dis merci pour le service en ajoutant.

    -         Monsieur, apportez nous deux baguettes pour manger le riz.

    -         Ah ! dit-il en s’exécutant. j’ai oublié les baguettes, murmura-t-il.

    -         Waili ! me dit-elle. Tu manges le riz avec le pain ?        

          Au moment où j’allais répondre à son interrogation, le serveur amena les baguettes de bois que l’on utilise pour manger le riz. Rubiconde de timidité, elle ne dit mot. Je voyais qu’elle riait sous cape. Je servis madame, la première et lui souhaitais un bon appétit. Elle trouva une difficulté à manier les baguettes. Je l’initiais en lui demandant de tenir ferme les deux baguettes comme un crayon. Je lui fis une leçon sur l’origine de la baguette. Son usage améliore la mémoire et que dans le temps, les baguettes en argent devenaient noires au contact avec la nourriture empoisonnée. 

    -         Peux-je faire une réflexion ? lança –t-elle.

    -         Bien sûr que oui. Tu as toute la latitude pour le faire.

    -    En entendant deux baguettes, crédule que je suis, j’ai pensé aux parisiennes.

    -   C’est vraiment drôle. Les autochtones disent le pain ou koumire. Toi tu l’appelles parisienne.

    -         Abdou, le moment est venu de te parler un peu de moi.

    -         Je suis toute ouie, Rahima. Racontes-y.

    -    J’ai quitté le Maroc à l’âge de trois ans, pour aller vivre avec mes parents en France.

    -         Comment cela ? Tu sais, je savais que j’étais devant une femme émancipée. 

    -    Bref, je vais te raconter cette aventure depuis le début, ajouta-t-elle. Mes aïeuls vivaient dans un village, non loin de Tafraout. Feu mon père était pâtre. Il gardait le petit troupeau de ses parents. Un jour une brebis mit bas un agnelet invalide. Ayant pitié de lui, mon père le portait chaque jour sur ses épaules pour brouter à côté de sa mère.  De jour en jour, l’agnelet devint agneau puis bélier. Mon père qui était chétif, à force de l’épauler, fortifiait son corps et devenait costaud.

            A cette époque, poursuit-elle, le protectorat français qui n’a trouvé aucune difficulté à s’installer dans le nord du Maroc, ne put le faire dans le sud. La région du Souss, lui était difficile vu la densité des montagnes rocheuses et surtout, la rébellion des jeunes Soussis qui étaient contre cette colonisation. Non seulement, ils refusaient la soumission mais ils étaient aussi contre l’évangélisation des berbères. Le Souss est le fief de l’Islam. Aucun renégat, n’a été décelé au sein des aborigènes depuis qu’ils ont embrassé cette religion.      

    A suivre./...

     

     

  • Et compagnie (6 ème Episode)

     

            

    -      Allons-y ! Répliquai-je vivement, en me levant.

          Au volant, je remarquai que je conduisais comme un blanc-bec. Sa présence à mes côtés m’influençait. J’allumai la radio, pour rompre le silence. Drôle de coïncidence, c’était une émission consacrée à l’insécurité routière.  Je cherchais une autre station musicale. Une chanson romantique était programmée, « I will always love you  » (Je t'aimerai toujours) de Whitney Houston. Rahima, fredonna sans anicroche les paroles de la chanson. Enfin, elle parla. Il était presque 19h 30, l’heure de l’appel du muezzin pour la prière Al maghreb, le coucher du soleil et au moment où l’astre à mes côtés se réveillait en gazouillant. Un coucher acronyque, pensai- je.

          Remis en confiance, je pus tenir impeccablement la direction, en   l’emmenant sûrement à bon port. Arrivés devant le restaurant, je garai la ‘’ fiesta’’ au parking et gagnâmes l’entrée.   

          Je l’ai précédée pour lui ouvrir l’accès. Le son du carillon accroché en   haut de la porte, annonça notre arrivée. Je sus que le bruit de cette clochette l’enthousiasma. Ebahie, elle écarquilla ses yeux. 

      -  Madame, dis-je. Les sons harmonieux et amicaux d’un     gong ou d’un carillon sont des appels à la joie et à la félicité. Je pus de nouveau lui voler un sourire. 

          Le maître d’hôtel vint à notre rencontre, nous souhaitant la bienvenue.

      -  Welcom, please folow me. 

          Continuellement, la même chaleur de l’accueil. Nous le suivîmes. A l’entrée d’une grande salle, un employé était en faction. D’un clin d’œil bien appuyé, il scruta nos chaussures, et nous pria de les quitter en nous remettant des tongs en bois. En entrant dans la grande salle tapissée, je fis le salut o-jigi au tatami. Rahima, se mit à rire en me voyant l’exécuter. Je ne pus lui dire ma réflexion. Ce dîner sera notre premier beau duel. Une lampe « tokio » éclairait lumineusement un beau paravent à quatre pans, représentant la promenade de Geisha. Des lampes boules en papier multicolore suspendu, guirlandaient le plafond.  Un vase de fleurs bouvardia, ornait des tables basses en pin. Une musique traditionnelle japonaise égayait la salle. Le préposé nous pria de choisir une table. 

       Nous choisîmes une place discrète près du paravent. Un serveur vint nous apporter le menu et des serviettes chaudes pour essuyer les mains. Nous voilà en un laps de temps dans le pays du soleil levant. La carte du menu consistait :   

    -    Okonomiyaki : Un genre de crêpe salée contenant une variété d’ingrédients    (nouille, choux, lard.) 

    -    Okonomi signifie littéralement ce que vous aimez, et yaki grillé. 

    -    Sushi : Tranche de poisson cru mis sur une boulette de riz vinaigré.

    -    Sukiyaki : 1 émincé de bœuf, il a meilleur goût si les tranches de viande sont très minces. Une poignée de nouilles shirataki cuites ou des nouilles simples cuites. 8 champignons shiitake ou champignons de Paris.1 botte de champignons enoki. 0ignon moyen. 1 / 2 chou chinois et 1 yaki-dofu (lait de soja).

                       A suivre ....         

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Et compagnie (5 ème Episode)

        

     

    -    Bien le bonjour monsieur, dis-je aimablement, pour dessiller son regard.

        Rahima demanda la permission de disposer, pour aller préparer le thé, regagna      la cuisine ; nous laissant seuls en tête à tête.

    -   Rahima m’a parlé de toi et n’a cessé de louer et de relater ton généreux     concours, me lança-t-il.

    -  De grâce Si Mimoune, c’est avec grand plaisir, rétorquai-je sèchement.

          Je pensais à son mot « louer ». Mais c’est moi qui dois « louer »  mes services pour sauvegarder ce ménage, ou faut-il louer l’accueil qu’il me fit. Me prend-il pour un butor ? Si j’acceptai ce jeu, ce n’est pas que je fusse un cagot, un arriviste ou un profiteur. Un silence succéda au silence. Je ne pus aborder la relance de la discussion. Bavarder à la manière d’une caillette, ne m’a jamais tenté. Je me dis souvent que le silence vaut de l’or et je laissai à mon commensal le droit de prendre la parole, puisque lui et moi sommes des invités.  

           Il faisait chaud dans le salon. Le climatiseur sans doute, ne pouvait assainir  une fraicheur ambiante. Je le vis tantôt prendre un kleenex pour essuyer la sueur de son front, tantôt tourmenter ses chaussettes et tantôt se gratter la tête. Je devinais son embarras. Rahima revint souriante apportant un superbe plateau en argent et la théière  en inox flamboyante.

    -  Mais pourquoi ce long silence, balbutia-t-elle. En principe, le salon est fait pour converser et deviser continua-t-elle.

     -  Nous attendions le rituel et cérémonial  verre de thé, pour parler, dit Mimoune. Hier je n’ai fermé l’œil de la nuit. Une lombalgie douloureuse me fit souffrir.

    -  Un tour de rein sans doute, dis-je. C’est facile de remédier ce mal. Tu prends une gousse d’ail. Tu l’incises. L’entaille doit être en longueur. Tu l’imbibes d’huile d’olive pour en faire un suppositoire, avant de te coucher.

    -  Non Mimoune ! répliqua Rahima, l’air sournois. C’est l’abus du vin qui menace l’affection rénale. Tu es devenu soiffard ces derniers temps !

    -  Arrêtes veux-tu !hurla-t-il. Tu m’agaces avec  tes moqueries continuelles.  C’est toi qui m’as mis dans tous ces états. Il ne faut pas pousser mémé dans les orties. Tu ne cesses de me chanter goguettes.  

          Fort irascible, coléreux, de go il quitta le salon sans saluer. La colère le fit rougir. Au sortir, il  claqua fort la porte derrière lui. Rahima et moi restés seuls, nous nous regardâmes surpris. Rassurée de son départ en jetant la vue à travers la fenêtre sur la ruelle. Sereine, elle me dit :

    -  Abdou ne t’inquiète pas. Qu’il aille au diable.

    -  Je me demande pourquoi Mimoune, prend-il la tangente. Tu n’as rien dit de mal. Pourquoi ces balivernes ?

    -  Abdou, l’heure est venue de te dire toute la vérité. J’ai menti en te racontant une version inexacte. Je ne veux nullement m’enfoncer dans le mensonge.

    -  Je suis toute ouïe, dis-je primesautier. 

    -  La sexualité joue un rôle important dans la vie d’un couple. Et être mariée à un homme impuissant est un grand problème.

    -    Oui, l’impuissance sexuelle et disfonctionnement érectile touchent bons nombres d’homme. Mais, je pense que le traitement existe. (J’appréhendai qu’elle parle de Mimoune)

    -   Abdou, cela fait deux ans que nous sommes mariés, et je suis vierge.

    -    Je pensais que tu es lionne, dis-je l’air naïf.

    -    Son pivot naturel est en panne, ajouta-t-elle avec un sourire. J’ai fait tant d’efforts pour qu’il puisse me dévirginer et me féminiser, mais walou(Rien) !

    -    Waili ! (Bah !) dis-je, étonné ! Ce n’est pas possible! Je ne comprends plus rien. Donc l’histoire de géhenne, de boutades, de jalouseté que tu m’as raconté le premier jour, n’était que des simulations. Je m’y perds dans tout cela. Tout ce que tu m’as avancé, n’est que galimatias !

     -    Non, répliqua-t-elle. Mais c’était un mensonge transparent. Je ne suis pas entrain de dorer la pilule pour te convaincre. J’ai souffert en silence. J’ai trente trois ans. Maintes fois, la nuit j’entendais le bruitage du grincement du lit des voisins de l’étage en haut, lors de la lutte des corps et du commerce conjugal. Un frémissement parcourait mon corps, et je me sentais toute agitée. J’étouffais. Je suffoquais. Je haïssais mon sort. Je me disais en mon for-intérieur « Farhathoum » (Ils sont comblés).

        Durant sa narration, j’eus une soudaine absence d’esprit en pensant à Clélie, l’histoire romaine. Clélie et Sulpicie, jeunes amants doivent célébrer leur noce lorsqu’un tremblement de terre les sépare. Mais ce  « tremblement de terre » entre Rahima et Mimoune est d’une autre envergure.

    -   Je devine ta désolation « Mademoiselle». Il faut que je t’offre des fleurs d’oranger, dis-je l’air enjoué.

    -    Pourquoi les fleurs d’oranger ? rétorqua-t-elle stupéfaite.

    -    Des fleurs blanches qu’une fille porte sur la tête le jour de son mariage, pour dire à tout le monde qu’elle est encore pucelle, dis-je affectueusement.

    -   Merci Abdou ! Sais-tu aussi, que parfois dans mon désarroi, je laissais la fenêtre ouverte en espérant qu’un rôdeur, vienne me violer. La stupidité du manque. Des fois dans la ruelle, je regarde avec soupirs et jalousie les chatons qui suivent nonchalamment leur maman. Tant de fois, je vivais et subissais ce qu’a écrit Karine glorieux : Mademoiselle de Tuillerie dissimule sa tristesse qui la gagne, elle s’efforce de sourire. Quand elle voit passer à sa portée un bel enfant avec des cheveux blonds, elle l’attire à elle, l’embrasse tendrement et pousse un profond soupir qui peut dire : j’aurais été une bonne mère » C’est atroce de vivre ainsi. J’aspire à procréer et avoir des bébés roses à la maison.

     -   Il n’est jamais trop tard Rahima, tu es encore jeune, dis-je pour la rassurer.

     -   Abdou le premier jour où je t’ai vu, j’ai remarqué tes larges épaules et la sveltesse de ton allure. En te regardant de près, je sus que tu es bien né et que tu as un grand nez. Ta virilité est apparente.

     -   Compliment touchant m’allant droit au cœur. Tu sais que notre Prophète Mohammed, que le salut soit sur lui a dit «un homme demande à un autre homme d’épouser sa femme puis ensuite de la répudier pour la récupérer. Ces deux hommes sont maudits » Je n’étais pas chaud pour jouer le jeu. Je ne suis pas riche. Je n’ai de biens.

    -   Je ne veux pas de richesses, ni de biens. Je veux seulement un géniteur, affirme- t- elle.

    -   C’est la seule et l’unique qualité que je possède. Veux-tu me prendre pour époux ? Dis-je sereinement. Tu procréeras Inchae Allah !

    -   Avec plaisir, dit-elle réjouie. Je veux bien gouter ton miel et que toi aussi, tu goutes mon miel.

    -   Rahima, j’ai une proposition à te faire, lui dis-je.

          Je notai qu’elle fut préoccupée, en entendant cela. Elle se demanda au fond d’elle-même ce que j’allais dire.

    -    Oui, réagit-elle, le regard soucieux.

    -   Nous passâmes les trois, une heure d’horloge pleine de convulsions et de crispations. Je propose que nous dînions dans un restaurant. Que penses-tu d’aller au Nippon sushi, le restaurant japonais ?

    -   Je ne vois pas d’inconvénient, soupira-t-elle d’aise. Une occasion  de nous présenter sincèrement l’un à l’autre.  A mesure que  nous nous connaitrons, de plus en plus nous assiérons  les bases de notre vie commune et de plus en plus nous éviterons les contrariétés.

    -   Charmé d’accepter mon invitation. L’ordre du  jour et les sujets à   débattre seront utiles.

    -  Ah Nippon sushi, dit-elle souriante. Je n’ai jamais goûté à la gastronomie japonaise. La coutume nippone de quitter ses chaussures pour enfiler des chaussons prêtés par le restaurant afin de  se mettre à table, est pour moi  chose extatique. Accordes moi, cinq minutes pour me changer et me préparer.

            Elle se rendit dans sa chambre à coucher. En cherchant dans sa garde-robe, elle chantonnait la chanson «  fog ghosnek ya limouna » (sur ta branche ô l’oranger !) de Farid El Atrache. Je me suis dit que maille à maille fait-on le haubergeon. J’approchai de mon but. Je voudrai être à la hauteur de ses espérances. Elle mérite une vie meilleure, et mon rôle est d’être à ses côtés en ces moments difficiles. Je voudrai qu’elle retrouve sa joie et son sourire. Mon humble expérience de la vie, lui sera d’une grande utilité. Tout de même, sa façon et sa manière de servir, restent pour moi une énigme.

            L’attente ne fut pas longue. Elle me rejoignit au salon. Elle portait une robe de soirée bustier. Un sublime habit de couleur noir à petites rayures blanches. La robe moulait sa belle silhouette. La belle peau des épaules nues, la chevelure longue en chignon de banane, reflétèrent sa magnificence. Je me dis, Abdou, lève hautement ta tête, tu es bien pris !

    -    Me voilà Abdou, me dit-elle, pleine de coquetterie.